Intervention de Alexis Corbière

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière, rapporteur :

Sous la dénomination de frais bancaires, il convient de distinguer, d'une part, les frais de tenue de compte et pour rémunération des services de paiement fournis par les banques et, d'autre part, les frais pour incidents bancaires, qui sont les seuls visés par la proposition de loi qui nous occupe ce matin.

Concernant les frais standards, la loi a prévu des obligations d'information sur les conditions tarifaires et a harmonisé les terminologies afin de faciliter la comparaison des offres. Même si la situation n'est pas parfaite, on constate une diminution des tarifs dans un secteur par ailleurs exposé à la concurrence des néo-banques.

La situation est très différente concernant les frais d'incidents, c'est-à-dire les frais appliqués lorsque le compte est insuffisamment pourvu. Dans un rapport remis en juillet 2018, à partir d'une comparaison des principaux tarifs pratiqués, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a établi que « les opérations courantes sur des produits de base et peu différenciés sont très faiblement ou pas facturées alors que les tarifs sur opérations exceptionnelles et en particulier les incidents sont plus élevés ».

Bien que difficilement lisibles pour nos concitoyens, ces frais peuvent être examinés suivant l'ordre chronologique d'un incident. Tout d'abord, les commissions d'intervention sont censées rémunérer l'analyse du chargé de clientèle qui constate qu'une demande de paiement occasionne un découvert non autorisé et qui doit alors décider d'accepter ou de rejeter le paiement. Ensuite, interviennent les frais supplémentaires appliqués dans les cas où la banque rejette le paiement – frais de rejet de chèque ou de rejet de paiement par carte ou de rejet de prélèvement. Enfin, des frais sont appliqués pour les lettres d'informations d'incidents adressées au détenteur du compte à découvert. Certaines de ces lettres sont prévues par la loi, comme la lettre dite Murcef, mais la plupart sont établies et facturées à la discrétion des banques.

Les montants de tous ces frais pour incidents sur le compte sont forfaitaires. Ces frais se distinguent des agios appliqués en cas de découvert qui sont censés correspondre à un taux d'intérêt pour le crédit que la banque accorde pendant toute la durée du découvert.

Il n'existe pas aujourd'hui de statistique publique sur le montant total des frais d'incidents bancaires et sur sa part dans le revenu des banques. Je dois dire que c'est l'une des surprises que j'ai eues au cours de mes auditions.

C'est l'un des problèmes que l'article premier de la proposition de loi permettra de résoudre, avec une obligation de reporting et de transparence sur ces montants, par typologie de clientèles, et sur les bénéfices pour les banques.

Cependant, il est de notoriété publique que la banque de détail dépend de façon croissante, pour financer son réseau, des revenus procurés par les frais d'incidents bancaires. Une enquête publiée par l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et l'Institut national de la consommation (INC) – 60 millions de consommateurs proposait une fourchette allant d'un minimum de 2 milliards d'euros à un maximum de 6 milliards d'euros.

Nous savons également que les frais d'incidents bancaires pèsent de façon disproportionnée sur les ménages en difficulté financière. L'Observatoire de l'inclusion bancaire (OIB) a pu établir que les montants de frais d'incidents payés par les 3,3 millions de clients identifiés comme fragiles par leurs banques s'établissent en moyenne à 300 euros par an, ce qui représente un total d'un milliard d'euros, soit entre la moitié et un sixième des montants de frais appliqués à la population totale. Sur les échantillons représentatifs étudiés par l'UNAF en 2017, on constatait que les services bancaires coûtaient trois fois plus cher aux ménages modestes avec enfants : 2,1 % de leur budget, contre 0,7 % pour la population générale, et cet écart tenait entièrement aux frais d'incidents et aux agios.

Ces inégalités sont aggravées par les pratiques des banques en matière de remises commerciales, ce que l'on appelle les extournes. Les représentants syndicaux des personnels des banques attestent que les clients ayant des revenus et une épargne suffisants pour intéresser la banque ont de fortes chances de se voir rembourser tout ou partie de leurs frais occasionnels, alors que les clients qui n'ont pas la même surface financière n'ont pas de capacité de négociation.

On voit donc que la concurrence exacerbée dans le secteur de la finance a contribué à rendre les banques de détail de plus en plus dépendantes des recettes provenant des incidents bancaires. Et ceci pèse disproportionnellement sur les ménages aux revenus moyens, modestes et très modestes. Permettez-moi de citer Pierre Moscovici, alors ministre de l'économie, lors de l'examen en séance publique, en 2013, du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires : « Personne n'ignore que ces frais représentent une part importante du revenu des banques. Il n'est pas acceptable que le modèle économique de la banque repose sur la vulnérabilité de nos concitoyens. »

Cette situation n'est toujours pas acceptable. C'est pourquoi la proposition de loi vise à parvenir à un plafonnement véritablement satisfaisant de ces frais et à le généraliser. Cela revient à mener à son terme un mouvement engagé par loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, dite loi Borloo, qui a prévu un plafonnement des frais de rejet pour chèque ou pour autres modes de paiement.

Inchangés depuis 2008, ces plafonds sont de 30 ou de 50 euros pour un chèque rejeté selon que son montant est inférieur ou supérieur à 50 euros et de 20 euros pour un rejet sur un autre mode de paiement, sans excéder le montant du paiement rejeté. Ces plafonds couvrent l'ensemble des frais occasionnés et incluent donc les éventuelles lettres d'information ou commissions d'intervention liées à ces rejets.

En 2013, le législateur est intervenu de nouveau, avec un plafonnement spécifique des commissions d'intervention par l'article 52 de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires qui prévoit un double plafonnement des frais, par opération et par mois. Un décret d'octobre 2013 a fixé des plafonds de 8 euros par opération et 80 euros par mois, ce qui revient tout de même, potentiellement, à un maximum de 960 euros par an.

Cependant, ce plafonnement ne s'applique que pour les comptes des personnes physiques « n'agissant pas pour des besoins professionnels », ce qui exclut les travailleurs indépendants et micro-entrepreneurs. Or ces professionnels sont souvent dans une situation de dépendance face aux banques : ils devraient disposer des mêmes protections que les autres consommateurs.

Il est évident que les plafonnements actuels des frais sont insuffisants. L'existence de plafonds différents rend le dispositif peu lisible et la tarification des lettres d'information, de relance ou d'injonction constitue une forme de contournement.

Autre effet pervers : les banques se sont toutes alignées sur les montants plafonds, sans que jamais la concurrence ne les pousse à se démarquer en diminuant les frais d'incidents bancaires !

J'ajoute qu'aucune étude fondée sur le coût marginal ou le coût complet pour les banques n'a justifié les montants de ces tarifs. Le montant de 20 euros pour un rejet de prélèvement a par exemple été fixé arbitrairement en 2008 en minorant légèrement les frais de rejet de chèques, alors que la diffusion massive des prélèvements automatiques a réduit considérablement les coûts de gestion de ces incidents. De même, les tarifs des commissions d'intervention ne tiennent pas compte du fait qu'elles sont gérées de façon quasi-automatique, en appliquant un scoring préenregistré.

Depuis 2013, les seules initiatives nouvelles engagées par le gouvernement ont relevé de la politique dite d'inclusion bancaire avec des mesures ciblées destinées aux clients qui se trouvent en situation de fragilité financière.

En particulier, la loi a obligé les banques à proposer aux clients dits fragiles une offre spécifique de nature à limiter les frais en cas d'incident, donnant accès à des moyens de paiement limités et à des frais d'incidents plafonnés à 20 euros par mois.

C'est au titre de cette démarche de ciblage que les banques ont pris des engagements supplémentaires, annoncés par le Président Macron en décembre 2018, avec un nouveau plafond unique couvrant à la fois les frais de rejets et les commissions d'intervention : à 25 euros par mois pour les populations en situation de fragilité n'ayant pas souscrit l'offre spécifique, soit environ 3,3 millions de personnes ; à 20 euros par mois pour les 480 000 souscripteurs de l'offre spécifique.

Pour les bénéficiaires de ces plafonnements, il y a certes un progrès, mais il est ambigu, car la dénomination de fragilité financière inscrite dans la loi est assez stigmatisante.

En outre, la portée effective du plafonnement doit être relativisée : avec l'offre spécifique, un client n'a droit qu'à des cartes à autorisation préalable ou à des chèques de banque, et, dans ces conditions, éviter les frais d'incidents n'est pas un exploit. Les frais moyens appliqués à ces clients seraient ainsi de 11 euros, très inférieurs au plafond de 20 euros…

Enfin, il ne faut pas surestimer la générosité des banques : le public fragile présente aussi des risques de déposer un dossier devant les commissions de surendettement, qui seraient dès lors amenées à annuler tout ou partie des dettes envers les banques elles-mêmes.

En revanche, ni les plafonds actuels, ni les mesures ciblant certaines populations ne protègent suffisamment contre les phénomènes de cascade de frais, qui peuvent entraîner des centaines d'euros de surcoûts pour quelques incidents de paiement sur un compte temporairement à découvert. Ceci accélère le cercle vicieux de l'endettement de clients que les banques n'avaient pas forcément identifiés comme en situation de fragilité.

Alors que les dirigeants bancaires et les autorités de supervision estiment, dans l'ensemble, que les frais d'incidents auraient une vertu pédagogique et qu'il faut seulement protéger un public identifié comme fragile, nos concitoyens, clients des banques, estiment, eux, de façon générale, que les frais d'incidents bancaires sont rarement justifiés et les placent dans des situations difficiles.

La loi doit donc répondre à cette attente de nos concitoyens, en étendant à tous, de manière universelle – le mot est à la mode – le plafonnement global des frais que les banques appliquent aujourd'hui à la clientèle dite fragile : 2 euros par incident, 20 euros par mois et 200 euros par an.

Cette approche présente de nombreux avantages.

La loi protègera tous les consommateurs et cessera de stigmatiser certains clients cantonnés à des offres low cost.

La loi mettra un terme à la situation actuelle où les banques de détail, financièrement dépendantes des frais d'incidents, se trouvent dans l'incapacité objective de mener des actions de fond de prévention des incidents. La loi mettra fin aux prélèvements mécaniques de frais visant à rentabiliser le client à court terme, sans aucun rôle pédagogique ni démarche d'accompagnement.

Cela mettra fin au cercle vicieux de défiance entre les clients qui connaissent des difficultés financières, occasionnelles ou récurrentes, et les chargés de clientèle, incités aujourd'hui à maximiser les frais pour incidents.

L'approche sera désormais inverse : puisque les revenus provenant des frais d'incidents seront limités, les banques seront désormais incitées à tout faire pour prévenir les incidents afin de se trouver le moins possible dans des situations où les coûts de gestion dépasseraient les plafonds fixés par la loi.

Cette réorientation globale du fonctionnement des banques constitue la meilleure garantie de mise en oeuvre de leurs engagements à mieux accompagner les personnes en difficulté. Il s'agit d'une véritable réforme structurelle, mais, pour le coup, d'une réforme véritablement marquée par le progrès.

Et pourquoi refuserait-on de plafonner les frais d'incidents bancaires pour tous les Français, alors qu'un décret du 5 février dernier, pris sur le fondement de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE), vient de plafonner fortement les commissions pour l'ouverture, la gestion et le transfert des plans d'épargne en actions et plans d'épargne en actions destiné au financement des petites et moyennes entreprises ? Si l'on plafonne les frais pour des services financiers utilisés par la minorité des plus fortunés, pourquoi ne pas plafonner les frais bancaires de tous nos concitoyens ?

Je vous invite donc, chers collègues, à adopter les différents articles de cette proposition de loi, ainsi que les amendements que je vous présenterai pour en améliorer le texte ou en compléter les dispositions.

L'article premier supprime les plafonnements actuels pour les frais de rejet et établit de nouveaux plafonds plus favorables, généralisés à l'ensemble des frais d'incidents et applicables également aux personnes physiques agissant pour des besoins professionnels, donc les travailleurs indépendants et les micro-entrepreneurs.

Le texte de la proposition de loi prévoit que ces plafonds incluront les montants des agios au titre des périodes concernées par ces incidents. Je vous proposerai toutefois un amendement modifiant ce point du texte.

Les échanges avec les représentants des associations de défense des consommateurs et les organes de régulation m'incitent en effet à dissocier la question des agios de celle des frais d'incidents. Inclure les agios dans le plafond pourrait inciter les banques à rejeter un nombre plus important de paiements, faute de pouvoir rémunérer le crédit que représente le découvert, ce qui exposerait les clients à des difficultés supplémentaires dans leurs relations aux créanciers.

Je vous proposerai donc de dissocier les deux aspects et de mettre un terme à la perception actuelle par les banques d'un minimum forfaitaire d'agios, qui renchérit considérablement le coût des découverts et conduit fréquemment à dépasser le seuil de l'usure, tout particulièrement pour les découverts de petits montants.

Dans sa rédaction actuelle, l'article premier abroge les dispositions relatives à l'offre spécifique et au ciblage des clients dits fragiles. Si les limites de ce volet de la politique d'inclusion bancaire justifient la généralisation du plafond des frais d'incidents, je vous proposerai néanmoins de maintenir cette mesure dans la loi, tout en la renforçant et en remplaçant la dénomination stigmatisante de « fragilité financière » par celle plus objective de « difficulté financière ».

L'article 2 interdit la perception de frais pour les opérations de saisie-attribution ou à tiers détenteur. Je rappelle que les frais bancaires pour saisie administrative à tiers détenteur sont plafonnés à 100 euros depuis un décret de décembre 2018, consécutif à un amendement de notre collègue Joël Giraud, alors rapporteur général du budget, à la loi de finances rectificative pour 2017 qui a unifié les différentes procédures de recouvrement forcé des créances publiques.

Avant ce plafond de 100 euros, les frais bancaires pouvaient atteindre 10 % du montant dû au Trésor public, alors que, comme le relevait notre collègue Joël Giraud en commission des finances, « les personnes concernées ont souvent des difficultés financières et les frais bancaires élevés viennent accroître ces difficultés ».

La mesure de gratuité ne devrait pas poser de difficulté aux banques puisque la loi prévoit déjà l'absence de frais bancaires pour le contribuable lors des prélèvements des impôts. Dans les cas de saisie administrative à tiers détenteur (SATD), si le contribuable est en tort, il paye déjà des pénalités au Trésor public et on ne voit pas pourquoi il devrait payer, en plus, un « impôt privé » à sa banque.

Enfin, l'article 3 permet d'appliquer aux travailleurs indépendants et micro-entrepreneurs l'information gratuite, sur le relevé de compte mensuel, du montant et de la dénomination des frais pour incidents bancaires, alors que la loi réserve aujourd'hui cette garantie minimale aux personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels.

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