La note trimestrielle de conjoncture de l'INSEE aurait dû sortir le 24 mars dernier, mais nous avons ajourné l'exercice quelques jours auparavant, annonçant que nous lui substituerions des bulletins de santé bimensuels de l'activité économique en France durant toute la période de crise. Le premier bulletin a été diffusé le 26 mars, le deuxième est paru aujourd'hui.
J'ai demandé à mes équipes de mesurer l'état instantané de l'activité et de la consommation des ménages par rapport au régime normal. Le point que nous venons de publier confirme l'estimation globale faite il y a deux semaines, celle d'une chute de 36 % du PIB et de 35 % de la consommation.
Nos estimations sont effectuées en instantané. Nous ne pouvons nous référer qu'à des éléments disponibles immédiatement et non à ceux qui ne sont connus qu'en différé, tels que les déclarations de TVA. Sur la base d'une collecte effectuée début mars, notre dernier point fait apparaître une très nette chute du climat des affaires au mois de mars, mais il est probable qu'en avril, nous allons tomber beaucoup plus bas, sans doute plus qu'en 2008-2009 – on ne peut cependant descendre en dessous de – 100. Je vous renvoie aux graphiques que nous avons fait parvenir à la commission.
Adoptant une démarche inédite, nous avons analysé l'évolution du PIB à un niveau sectoriel très fin, selon une nomenclature à 138 postes d'activité, en prenant en compte à la fois les effets dus aux fermetures par arrêté et certaines remontées qualitatives du terrain, provenant notamment des fédérations professionnelles, des entreprises, de Rexecode, de la Banque de France, de France Industrie ou du MEDEF. Pour chaque secteur, nous avons ensuite cherché à évaluer la chute de valeur ajoutée par rapport à la normale.
Nous avons innové en corroborant les estimations à dire d'expert par des données « en dur » provenant de sources à haute fréquence, donc très fraîches. Les données de consommation d'électricité en font partie, bien que leur intérêt soit limité, car la consommation des ménages, en l'espèce, ne se réduit pas durant le confinement. Les données journalières de transactions par cartes bancaires sont beaucoup plus significatives. Ces dernières, auxquelles nous souhaitons accéder depuis des années, nous ont été communiquées à titre exceptionnel par le Groupement d'intérêt économique des cartes bancaires (GIE-CB).
Notre bulletin d'aujourd'hui fait apparaître une baisse d'activité globale de 36 %. L'agriculture est en baisse de 10 %, l'industrie de 43 % et la construction de 88 %. La baisse de 39 % affichée par les services principalement marchands recouvre une réalité très hétérogène, car elle comprend notamment les loyers, très peu affectés par la crise, ce qui signifie que d'autres activités sont quasiment à l'arrêt. Les branches principalement marchandes sont en baisse de 42 % mais, hors loyer, la chute avoisine les 50 %.
Pour ce qui est de la consommation, qui affiche une baisse globale de 35 %, on constate que le secteur de la fabrication de matériels de transport, notamment d'automobiles, est proche de l'arrêt. L'hébergement et la restauration sont en baisse de 92 %, tandis que les activités immobilières – comprenant les loyers – et financières restent à un niveau inchangé. Les services principalement non marchands sont en baisse de 39 %.
Les données de cartes bancaires, établies en glissement annuel, c'est-à-dire par rapport au même jour de l'année précédente, font apparaître une évolution très faiblement positive en janvier-février, suivie d'une légère hausse début mars, correspondant à des achats de précaution, et d'une explosion due aux achats alimentaires en grande surface, et dans une moindre mesure à l'achat de carburant, lors de l'annonce du confinement. Enfin, durant la seconde quinzaine de mars, tous les achats, même alimentaires, chutent à nouveau d'environ 35 % par rapport à la normale. L'analyse des données de cartes bancaires fait également apparaître que, si la vente à distance a moins souffert que la vente physique, elle a tout de même diminué depuis le début du confinement.
Dans la mesure où il est impossible de prévoir combien de temps va durer le confinement, j'ai demandé à mes équipes de ne pas se livrer à des prévisions trimestrielles ou annuelles, mais de se concentrer sur les pertes contemporaines. Ainsi peut-on dire qu'une perte d'activité de 36 % durant un mois, c'est-à-dire un douzième d'année, correspond à une diminution du PIB de 3 % sur une année et de 12 % sur un trimestre – cette estimation est compatible avec celle de la Banque de France. Nous savons qu'il y aura plus de quinze jours de confinement au deuxième trimestre et que celui-ci affichera donc également une diminution de l'activité. Sans avoir la compétence pour faire des prévisions portant sur le troisième trimestre, nous pensons que la sortie de crise ne se fera pas selon un scénario en V : on ne reviendra pas instantanément au régime de croisière, puisque le déconfinement sera progressif et que les habitudes de consommation ne reprendront que lorsque tout le monde sera rassuré. De même, la fermeture de certaines entreprises, notamment dans l'industrie, va conduire à des ruptures dans la chaîne de valeur : en l'absence de stocks de matières premières et de pièces, les chaînes de production ne pourront plus tourner.
Durant la période exceptionnelle que nous traversons, l'INSEE a procédé à des analyses inédites. En partenariat avec Orange, que nous sollicitons depuis longtemps, nous avons publié une carte faisant apparaître les mouvements de population. Nous avons également mis en place un dispositif de communication hebdomadaire sur les décès déclarés à l'état civil – ils le sont avec un décalage, puisque les communes ont sept jours pour faire parvenir leurs données d'état civil à l'INSEE et que certaines d'entre elles recourent malheureusement encore au papier. Notre publication de demain contiendra des détails par département, mais aussi par tranche d'âge, par sexe et éventuellement par lieu de décès – EHPAD, hôpital ou domicile.