Intervention de Marie Guévenoux

Réunion du vendredi 20 mars 2020 à 11h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Guévenoux, rapporteure :

Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui dans un contexte exceptionnel et votre présence restreinte dans cette salle suffit à en attester.

Je n'ai pas besoin de vous dire ce que nous savons tous : notre pays connaît la pire épidémie de son histoire récente, et ce fléau frappe durement nos partenaires européens comme nos alliés sur d'autres continents. L'épreuve est douloureuse. Elle l'est pour le monde entier ; elle l'est pour la France et pour les Français.

En ces temps difficiles, notre responsabilité collective n'est que plus grande. Le peuple français nous a confié la mission de veiller à ses intérêts. Nous le faisons ici, à l'Assemblée nationale, comme d'autres au Gouvernement et au Sénat, avec la meilleure volonté possible et toute notre détermination.

Nous avons tous très peu dormi au cours des derniers jours. C'est une charge que nous acceptons avec gravité. Nous examinons ces deux projets de loi dans des conditions de célérité qui disent tout de leur importance. Chaque fois que la France est frappée, aujourd'hui par un virus comme il y a quelques années par le terrorisme, le Parlement a montré qu'il savait se prononcer suivant l'exigence des circonstances. Nous n'y manquerons pas plus aujourd'hui que nos prédécesseurs naguère, dans le sens de l'intérêt général et sans rien sacrifier de nos convictions.

Mercredi, le conseil des ministres a délibéré sur les projets de loi organique et ordinaire que le Sénat a adoptés aujourd'hui au petit matin et que nous examinons maintenant. Pour faire face à l'épidémie de Covid-19, ils poursuivent trois principaux objectifs : le report du second tour des élections municipales et communautaires qui devait se dérouler le 22 mars 2020, ce qui fait l'objet du titre Ier ; la création d'une base légale aux mesures de confinement de la population en créant un état d'urgence sanitaire dans le titre II ; des mesures d'adaptation de notre droit, dont les rigueurs conçues pour le temps de paix pourraient menacer la bonne marche du pays dans les conditions de confinement que nous connaissons. Ce dernier objectif est poursuivi par le titre III ainsi que par le projet de loi organique.

Le Président de la République, dès qu'il a été informé par les scientifiques des dangers réels que présentait l'épidémie, n'a pas hésité à prendre des décisions courageuses et draconiennes que le Gouvernement a d'ores et déjà pour partie appliquées. Depuis le début de la semaine, la limitation de la circulation des populations et la fermeture des commerces non nécessaires témoignent de la détermination affichée. Il convenait désormais de recourir à la loi pour franchir un nouveau cap. C'est ce qui nous est soumis ici, et je ne doute pas que tous les parlementaires seront habités par la responsabilité qui nous incombe.

Avant de détailler le contenu des projets de loi, j'aimerais préciser un élément important. Le Sénat s'est prononcé le premier hier. Je dois vous informer qu'il l'a fait dans un esprit de coopération remarquable. Les contacts ont été nombreux entre le rapporteur et président de la commission des Lois, M. Philippe Bas, la présidente de notre Commission et moi-même.

Comme le Premier ministre a tenu à associer tous les groupes et tous les partis à ces décisions, l'Assemblée nationale et le Sénat ont travaillé de concert. Cela ne signifie pas que nous sommes d'accord sur tout, comme vous le verrez, mais cela veut dire que nous nous entendons sur l'essentiel.

La quasi-totalité des modifications apportées par le Sénat ont été consensuelles. Certaines, formulées par les sénateurs, ont suscité l'adhésion ; d'autres, à l'inverse, ont émané de l'Assemblée nationale et ont été volontiers introduites dans le texte, hier, à l'initiative du Sénat ou par l'entremise du Gouvernement. Lorsque la situation le commande, les divergences se réduisent vite.

Je voudrais évoquer quelques exemples d'apports du Sénat qui ont été introduits en collaboration avec l'Assemblée nationale, voire sur les suggestions que nous avons formulées : les règles sur le quorum municipal, la facilité de convocation des assemblées locales, la dimension temporaire de ce nouveau régime de l'état d'urgence sanitaire et le fait que les policiers municipaux puissent verbaliser les infractions à ses prescriptions.

Je dois aussi vous faire part de quelques dissonances qui persistent dans le texte : sur le choix du Sénat d'autoriser le vote à distance pour l'élection du maire, par exemple, mais aussi sur le dépôt des candidatures au second tour des municipales dans ce que je tiens pour une forme de précipitation. Je ne cache pas des interrogations sur d'autres dispositions du texte, mais je compte m'en ouvrir préférentiellement en séance publique pour obtenir des précisions de la part du Gouvernement.

J'en viens désormais au contenu proprement dit des projets de loi.

Le titre Ier du projet de loi ordinaire a trait au report du second tour des élections municipales. Comme vous le savez tous, les scientifiques avaient estimé que les conditions sanitaires au dimanche 15 mars n'impliquaient pas la remise en cause du premier tour. Mais leur brusque détérioration et la croissance rapide du nombre de contaminations les a amenés à réviser leur jugement dans les jours qui ont suivi. En responsabilité, le Président de la République a recherché une conciliation entre l'impératif sanitaire et l'expression démocratique. Il a souhaité ce que met en oeuvre le titre Ier : retenir les résultats du premier tour et attendre des circonstances plus propices pour la tenue du second dans de bonnes conditions.

Le dispositif qui vous est proposé est donc le suivant. Dans les communes où le premier tour a permis l'élection de l'ensemble du conseil municipal, ces résultats sont définitifs. Dans les communes ou, au contraire, un second tour sera nécessaire pour déterminer les élus, il se trouve reporté au mois de juin, à une date dont le Gouvernement décidera par décret. Un rapport scientifique sera remis au Parlement le 10 mai pour évaluer les conditions sanitaires qui permettront sa tenue. À défaut, il nous appartiendra de reprogrammer l'élection plus tard.

Comme l'a annoncé le Premier ministre au Sénat, les communes seront gérées dans l'intervalle par les élus municipaux en fonction avant le premier tour. Ce sera le cas jusqu'au second tour dans les communes où celui-ci doit avoir lieu ; dans celles où le premier tour a suffi, cette administration provisoire durera jusqu'à l'amélioration des conditions sanitaires. En effet, devant la crainte des nouveaux élus de se réunir en ces temps d'épidémie, nous attendrons le rapport scientifique pour nous assurer de la levée de tous les risques.

À titre exceptionnel, le Sénat a adopté une série de mesures destinées à faciliter la l'administration des communes pendant cette période. Le quorum d'une moitié exigé pour la validité d'une délibération est abaissé à un tiers. Le nombre de pouvoirs que peut recevoir un membre de l'organe délibérant passe de un à deux. Je précise que ces mesures vaudront pour l'ensemble des collectivités territoriales et groupements, et pas seulement pour les communes.

Les dates limites d'adoption des budgets sont repoussées à juillet. Les équipes prorogées pourront partiellement disposer des sommes prévues pour le précédent exercice.

Cette situation a une conséquence sur le fonctionnement des intercommunalités. Là également, les conseillers communautaires en fonction seront prorogés, voire remplacés s'ils ont perdu leur qualité de conseiller municipal. Toujours pour éviter de multiplier les réunions, le Sénat a remplacé le processus d'élection par le conseil municipal prévu par le Gouvernement par une détermination automatique par la loi pour le cas où le nombre de sièges au sein du conseil communautaire devrait varier à la hausse ou à la baisse en fonction des évolutions démographiques.

Les détails techniques, tels que le régime de la propagande, les modalités de remboursement ou encore l'application outre-mer, font l'objet d'habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances à l'article 2. Le Sénat a raccourci les délais pour garantir au Parlement un droit de regard, ce qui est bienvenu.

C'est dans ce titre Ier que se situent mes principaux désaccords avec le Sénat. Les sénateurs ont souhaité que les déclarations de candidatures et les dépôts de listes pour le second tour, là où c'est nécessaire, aient lieu au plus tard le mardi 31 mars, autrement dit dans une semaine. Cela me semble tout à fait prématuré en plein confinement, alors que nombre de candidats sont frappés eux-mêmes par la maladie.

Certains sénateurs ont souligné, et je les rejoins, que les listes ne peuvent être modifiées après le dépôt. Nous mettrions les candidats à la merci des décès, des accidents de la vie, de toute avanie envisageable. Le Sénat souhaite éviter les tractations sans fin, mais entre la semaine prochaine et le mois de juin, il aurait gagné à trouver une solution intermédiaire qui concilie les légitimes intérêts de chacun. Je déplore que, sur ce point, les sénateurs se soient montrés inflexibles au détriment du bien-être de candidats déjà fort éprouvés par les circonstances.

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