Intervention de Marie Guévenoux

Réunion du vendredi 20 mars 2020 à 11h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Guévenoux, rapporteure :

Je nourris également un fort doute quant à l'opportunité du vote à distance, par correspondance ou par voie électronique, pour l'élection du maire. Il me semble que si la loi prévoit trois tours de scrutin, c'est bien pour permettre aux conseillers de changer d'avis, de parlementer entre eux, ce qui me semble difficile quand on vote de chez soi plusieurs jours à l'avance. Je ne suis pas fermée, en revanche, à ces modalités particulières pour les délibérations classiques ; je proposerai un amendement en ce sens.

Enfin, je vous indique que l'article 3 procède au report des élections consulaires pour la désignation des représentants des Français de l'étranger. Là encore, la sécurité de nos compatriotes est et demeure notre priorité.

Le titre II du projet de loi ordinaire crée un état d'urgence sanitaire. En effet, comme l'a expliqué le ministre de la santé, le cadre juridique actuel – essentiellement les articles L. 3131-1 et suivants ainsi que la théorie des circonstances exceptionnelles – trouve aujourd'hui ses limites au regard des mesures qui sont nécessaires. La situation actuelle nécessite donc de prévoir un régime dédié en cas de catastrophe sanitaire.

L'article 5 du projet de loi crée ainsi un état d'urgence sanitaire, inspiré dans sa rédaction de l'état d'urgence prévu par la loi du 3 avril 1955. Il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire national en cas de catastrophe sanitaire mettant en jeu, par sa nature et sa gravité, la santé de la population.

L'état d'urgence sanitaire serait déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Sa prorogation au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi. Un décret peut toujours y mettre fin de manière anticipée. En même temps que cesse l'état d'urgence sanitaire cessent également les effets des mesures prises pour son application.

En cas de déclaration de l'état d'urgence sanitaire, un comité de scientifiques est réuni sans délai. Il rend public un avis périodique sur les mesures prises par le Premier ministre, le ministre de la santé et les préfets, le cas échéant. Des dispositions pénales sanctionnent les infractions à ces mesures.

Le Sénat a substantiellement modifié l'état d'urgence sanitaire.

Un amendement du rapporteur, M. Philippe Bas, a notamment énuméré les mesures susceptibles d'être prescrites par le Premier ministre et le ministre de la santé. Il a ainsi établi une typologie des mesures applicables : celles visant à restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; l'interdiction faite aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements justifiés par des besoins familiaux, professionnels ou de santé impérieux ; la mise en quarantaine, au sens de l'article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d'être affectées ; le placement et le maintien en isolement des personnes affectées, au sens du même article, au domicile ou dans tout autre lieu d'hébergement adapté ; la fermeture provisoire d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public, à l'exception de ceux fournissant des biens ou des services essentiels aux besoins de la population ; la limitation des rassemblements sur la voie publique ainsi que des réunions de toute nature ; la réquisition de tous biens et services nécessaires ainsi que de toute personne utile au fonctionnement de ces services ou à l'usage de ces biens. Cette liste a été complétée en séance pour prévoir un contrôle des prix ainsi que la mise à disposition de médicaments appropriés pour l'éradication de l'épidémie.

Je comprends la logique juridique d'une telle énumération mais son caractère opérationnel n'est pas certain : il y a toujours le risque d'un oubli face à une situation profondément évolutive. Je propose que nous échangions sur ce point avec le Gouvernement en séance publique.

Le Sénat a, par ailleurs, adopté un amendement du Gouvernement conférant aux agents de police municipale, gardes-champêtres, agents de la Ville de Paris chargés d'un service de police, contrôleurs de la préfecture de police et agents de surveillance de Paris, la compétence pour constater les contraventions à l'état d'urgence sanitaire.

La commission des Lois du Sénat, également à l'initiative de son président et rapporteur, a adopté un amendement déclarant d'emblée l'état d'urgence sanitaire pour une période de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi. Au regard de la situation sanitaire, il apparaissait en effet inutilement complexe de revenir devant le Parlement avant le délai maximal d'un mois. Je trouve cette disposition justifiée par les circonstances ; elle n'aura pas vocation à se reproduire.

Enfin, dans l'esprit des échanges noués avec la présidente de notre Commission, le Sénat, toujours à l'initiative de son rapporteur, a adopté un amendement portant article additionnel après l'article 6 afin de rendre temporaire – jusqu'au 1er avril 2021 – le nouveau régime juridique d'état d'urgence sanitaire.

Le titre III du projet de loi ordinaire est celui sur lequel je m'étendrai le moins car il se compose pour l'essentiel d'habilitations du Gouvernement à prendre des ordonnances pour limiter les conséquences les plus désastreuses de la situation actuelle et pour faire en sorte que les particuliers comme les entreprises résistent aux impacts économiques de la crise. Les règles ainsi édictées ont vocation à s'appliquer pour le temps de la crise et pour ce temps seulement.

Chacun comprendra l'intérêt d'un étalement des paiements des factures d'eau pour les très petites entreprises, d'un recours accru aux visioconférences dans les organes de direction des secteurs administratif et privé, d'un assouplissement des règles relatives au temps partiel, ou d'une prolongation d'office de trois mois de l'ensemble des titres de séjour sur le territoire national dont bénéficient les étrangers. Les parlementaires pourront légitimement demander au Gouvernement des précisions sur ce qu'il entend édicter sur la base d'habilitations qui, parfois, sont moins explicites. Nous nous livrerons collectivement à cet exercice en séance publique.

Le Sénat a très peu modifié ces dispositions, mais il a tout de même précisé que les dates de congés fixées à l'initiative de l'employeur sans délai de prévenance ne pouvaient excéder six jours ouvrables et que les adaptations des règles relatives aux gardes d'enfant supposaient des parents maintenus au travail hors de leur domicile et un contexte de fermeture des crèches.

Par ailleurs, le Sénat a ajouté au projet de loi ordinaire un titre IV relatif au contrôle parlementaire des décisions prises à l'occasion de cette crise sanitaire. Il contient deux dispositions. La première a pour effet de prolonger de deux mois les travaux des commissions d'enquête en cours, de sorte que ceux-ci puissent être conduits à leur terme. La seconde autorise le Parlement à obtenir communication de toutes les décisions prises en application de la loi dont nous discutons. Je pense que chacun y souscrira.

Nous sommes également saisis d'un projet de loi organique à l'objet tout à fait circonscrit. Il s'agit d'éviter que des questions prioritaires de constitutionnalité – QPC – en cours d'examen devant le Conseil d'État et la Cour de cassation n'atteignent, du fait de la désorganisation induite par le coronavirus, la date limite de trois mois à laquelle elles seraient automatiquement transmises au Conseil constitutionnel. Ce dernier serait alors menacé d'engorgement par des affaires ne présentant aucun intérêt et que, dans des circonstances normales, les juridictions faîtières auraient refusé de lui soumettre. Ce délai de trois mois se trouverait ainsi suspendu jusqu'au 30 juin prochain.

Voici, mes chers collègues, les projets de loi dont nous sommes appelés à discuter dans un temps très bref qui est aussi un temps troublé. Comme je vous l'ai dit en préambule, le travail consensuel et partenarial mené avec le Sénat est à saluer. Cependant, quelques dissonances persistent. Nous allons en débattre dans les heures qui viennent.

Chacun ici, je le sais, est conscient de la gravité de la situation à laquelle notre pays est confronté. Ce qui doit nous animer, plus que jamais, est la volonté d'agir dans l'intérêt des Français mais aussi celle de donner au Gouvernement, dans les délais les plus brefs, les outils nécessaires pour résoudre cette crise majeure ou, du moins, en diminuer les effets.

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