Intervention de Coralie Dubost

Réunion du vendredi 20 mars 2020 à 11h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCoralie Dubost :

Face à cette situation inédite, nous sommes tous pris d'une sensation de vertige. Or, l'un des remèdes au vertige consiste à dessiner une nouvelle perspective : c'est ce qui nous est demandé pour nos concitoyens. Crise sanitaire inédite, gestion démocratique de la crise inédite : l'histoire ne nous offre aucune comparaison avec la situation présente, que ce soit sur le plan sanitaire ou sociétal. L'épidémie s'est traduite par l'apparition de 235 000 cas et a causé plus de 8 000 décès à travers le monde ; en France, où 10 995 personnes se sont vu confirmer leur état positif, on dénombre 4 461 hospitalisations, 1 400 cas graves et plus de 300 décès.

Notre démocratie est ainsi soumise à une double épreuve : faire face à la crise du Covid-19 à la fois du point de vue sanitaire et dans le respect de la démocratie. Notre pays, comme tant d'autres nations puisqu'il s'agit d'une pandémie, est soumis à la « sagesse des limites » pour protéger les siens. La sagesse des limites ne consiste ni à vouloir follement les abolir ou les braver, ni à les accepter telles quelles comme un destin fatal et inéluctable. Elle réside tout à la fois dans leur appréhension, leur compréhension et leur confrontation. Les limites auxquelles nous sommes confrontés – c'est inhabituel – sont d'ordre naturel : ce sont celles de la condition humaine. Elles révèlent notre finitude et nous rappellent notre fragilité, notre peu de réalité. L'évolution de la civilisation, en particulier le développement des sciences, avaient déplacé ces limites depuis plus d'un siècle. Nos scientifiques et nos soignants se trouvent chaque jour, chaque heure, en cet instant même, face au défi de devoir une nouvelle fois, en urgence, déplacer une nouvelle limite naturelle.

La seule façon pour nous, parlementaires, de les aider – je veux redire la reconnaissance et la confiance totale que nous leur témoignons ! – est de déplacer les limites immatérielles de notre société, construites en temps de paix, de tranquillité de la condition humaine, pour leur permettre d'agir. Ils doivent pouvoir mettre tout en oeuvre pour sauver des vies, quoi qu'il en coûte. Notre responsabilité est d'adapter notre vie démocratique à cette lutte sanitaire. Georges Clemenceau le disait déjà : « La démocratie se doit d'être une création continue. » Nous devons créer.

La crise a pris son ampleur lors d'un moment démocratique clef : le premier tour des élections municipales, que nous avons décidé de préserver afin de garantir la continuité de la vie des institutions. Depuis lundi, le Président de la République, se fondant sur l'avis des experts, a annoncé une nouvelle étape : à un stade épidémique plus avancé répondent de nouvelles mesures de protection de nos concitoyens. Il nous revient donc désormais de reporter le second tour des élections municipales. Comme la rapporteure, je tiens à saluer le travail du Sénat, qui a permis d'aménager un certain nombre de points, notamment sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Cela permet d'éviter toute chicane politique au moment où nos concitoyens se battent contre cet ennemi invisible. Pour assurer une marge de manoeuvre suffisante à ceux qui agissent dans cette guerre contre l'épidémie du coronavirus tout en garantissant la perspective d'un retour à une situation sanitaire et démocratique apaisée, nous devons dès aujourd'hui décider de ces éléments d'urgence et des perspectives de sortie de crise. La déclaration de l'état d'urgence sanitaire est indispensable afin de permettre au Gouvernement d'utiliser tous les outils nécessaires pour défaire l'ennemi viral. La préparation de la sortie de cet état d'urgence est tout aussi indispensable pour garantir la continuité de la vie de la société et des institutions. Saluons, là aussi, le travail du Sénat, de notre rapporteure et de notre présidente, qui ont permis de faire fonctionner les deux chambres en bonne intelligence afin qu'un texte aussi responsable qu'impérieux se dessine au fur et à mesure des travaux parlementaires !

Compte tenu des circonstances sanitaires, nous sommes soumis désormais à un enjeu de créativité démocratique, auquel le nouvel outil que constitue l'état d'urgence sanitaire me semble répondre. Ce dispositif encadre les conditions de confinement qui s'imposent à nos concitoyens depuis quelques jours. Nous avons également répondu à cet enjeu avec la série de mesures économiques et sociales inédites contenues dans le titre III, que le Gouvernement nous propose d'adopter en urgence en lui permettant de légiférer par ordonnances. Il y va assurément de la santé économique, sociale et culturelle de notre pays. Il s'agit, pour préparer notre avenir, de permettre aux entreprises de faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise, d'offrir aux parents un mode de garde des enfants en cas de nécessité, d'appliquer des mesures provisoires administratives et juridictionnelles pour adapter la vie de notre pays dans cette période, d'assurer la protection continue des personnes les plus vulnérables, de garantir les droits des assurés sociaux et leur accès aux soins, d'assurer la continuité de l'indemnisation des victimes et d'adapter de manière transitoire les prérogatives des exécutifs locaux qui doivent pouvoir continuer à fonctionner en temps de crise.

L'action de tous conditionnera l'issue de tous. Jamais nous n'avons autant mesuré combien nous dépendons les uns des autres ! Nous avons besoin de nous tous. Nous sommes tous acteurs de cette lutte. Si, pour gagner cette bataille, il nous faut restreindre temporairement nos libertés ordinaires, je voudrais rappeler qu'être libre, ce n'est pas faire ce qu'on veut quand on veut. Être libre, selon Guy Haarscher, c'est trouver dans la réflexion personnelle les ressources nous permettant de nous orienter dans le monde. La boussole nous indique aujourd'hui qu'il faut rester dans notre domicile. Respectons ce principe !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.