Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du vendredi 20 mars 2020 à 11h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Nous faisons face à une crise inédite, d'une ampleur que personne ne connaît encore et qui a déjà surpris beaucoup de pays dans le monde. Face à une telle situation, il y a urgence. La première nécessité, de notre point de vue, est d'être un peu moins gaulois et un peu plus français : un peu moins prompts à tout contester et tout dénier, comme ces gens irresponsables dans la rue qui n'ont pas compris ce qui était en train de nous arriver ; un peu plus prompts à nous regrouper, comme nous avons su le faire au lendemain d'attentats terroristes ou dans des périodes plus joyeuses, après une Coupe du monde par exemple. Ensemble nous pouvons faire face. C'est dans cet esprit que mon groupe souhaite aborder le débat, en faisant en sorte de donner au Gouvernement les moyens de lutter contre toutes les conséquences de la crise, tout en garantissant les principes de la vie démocratique. Ce sera une bonne façon de montrer que notre nation est capable de soutenir le choc.

Le projet de loi crée un état d'urgence sanitaire avec lequel nous sommes d'accord. Il n'avait pas été prévu par la loi du 3 avril 1955. Un copier-coller quasi intégral nous permettrait de faire face plus efficacement aux restrictions de liberté et aux réquisitions de matériel nécessaires et autoriserait le Gouvernement à aller plus vite et plus fort pour résoudre la crise. Alors que nous légiférons dans des conditions en tout point exceptionnelles, l'état d'urgence sanitaire ainsi créé doit être temporaire. Par ailleurs, il faudra que le Parlement, à l'aune de l'expérience acquise et sans doute après une commission d'enquête, puisse l'évaluer à l'avenir afin de vérifier si nous avons été suffisamment efficaces.

Une autre partie du texte concerne les conséquences économiques et sociales de la crise, qui doivent être prises en compte très rapidement. Je pense aux salariés en chômage partiel, aux indépendants qui ne savent pas comment ils seront indemnisés – sinon grâce au projet de loi de finances rectificative adopté hier –, aux entreprises qui manquent de trésorerie ou encore aux poursuites, en cas de défaillances de paiement, qui doivent être interrompues.

Nous ne parviendrons pas à légiférer à la vitesse de propagation du virus. C'est pourquoi nous devons donner des pouvoirs très larges, par le biais des ordonnances, au Gouvernement. Nous en serons quitte, je le répète, à revisiter l'ensemble des dispositifs une fois la crise passée. Rien dans la Constitution n'interdit à l'exécutif d'associer les groupes parlementaires à la rédaction des ordonnances. C'est ce que Mme Nicole Belloubet, ministre de la justice, a accepté de faire dans le cadre de la rédaction du futur code pénal des mineurs. Je demande que les groupes parlementaires soient associés à la rédaction de ces ordonnances. Cette nuit, le Sénat a inscrit dans le projet de loi la possibilité pour les polices municipales de verbaliser les personnes qui violent le confinement sanitaire. Quand l'administration et le Gouvernement travaillent sans les parlementaires, ils oublient des cas. Il serait donc utile d'accompagner le Gouvernement, de sorte à aller vite et à être efficaces. Le reste du texte concerne des mesures de bon sens exorbitantes du droit commun, relatives par exemple à l'accueil des enfants.

Pour ce qui est des élections, nous approuvons le report du second tour des élections municipales puisque les scientifiques ont jugé qu'il n'était pas possible de l'organiser dans les circonstances actuelles. Nous soutenons l'option consistant à différer l'installation des conseils municipaux. Personne n'aurait compris que tout le monde soit confiné et que les élus se réunissent, prenant des risques pour eux-mêmes et pour les autres.

Néanmoins, à mon sens, la dissociation du premier tour et du second, à trois mois d'écart, est inconstitutionnelle. Elle fausse les résultats. Dans toutes les communes où l'élection n'a pas été acquise dès le premier tour, il faut organiser de nouvelles élections dans leur intégralité. Nous sommes en train de commettre une erreur démocratique. Nous devrions, dès lors, préciser dans le texte que si le second tour ne pouvait avoir lieu au mois de juin, comme le Gouvernement et la majorité le prévoient, ce serait l'ensemble de l'élection qui devrait être reportée. Nous voyons bien d'ailleurs, dans le débat entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur la date à laquelle les listes devront être déposées, qu'il y a une vraie question. Elle ne relève pas de la polémique, mais de la compréhension collective.

Enfin, si le projet de loi organique est de bon sens, le contrôle démocratique le serait tout autant. Si nous acceptons la suspension des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), dont la rapporteure disait à juste titre que beaucoup concernent des détails et qu'elles n'ont pas à être examinées en ces temps de crise, je vous propose d'amender ce texte pour que l'examen des QPC par la Cour de cassation, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel soit bien suspendu, mais à l'exception de celles concernant le projet de loi qui nous est soumis. Il n'est pas imaginable qu'un tel texte, que nous examinons dans des conditions aussi exceptionnelles d'urgence, ne soit pas soumis à un contrôle de constitutionnalité alors même qu'il s'agit de questions majeures de libertés publiques et démocratiques.

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