Intervention de Danièle Obono

Réunion du vendredi 20 mars 2020 à 11h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Dans le moment de crise aiguë que traversent notre pays, notre continent et le monde dans son ensemble, les députés insoumis sont plus que jamais déterminés à faire oeuvre utile et à servir l'intérêt général par leur vigilance constante et par la proposition de mesures urgentes et durables en matière sanitaire, sociale et démocratique.

Notre soutien à des mesures allant dans le sens de l'intérêt général et de l'efficacité de la mobilisation n'est pas inconditionnel et acritique : ce serait faire injure à notre fonction. La crise actuelle ne met pas la démocratie entre parenthèses, au contraire. Nous croyons qu'elle exige davantage de démocratie dans la mesure où nous avons besoin de l'adhésion, de l'implication constante de tous et de l'intelligence collective du grand nombre pour venir à bout de l'épidémie et reconstruire sur de nouvelles bases le monde d'après. Cette reconstruction commence maintenant : elle se fonde sur le contenu des réponses apportées et sur la manière dont nous allons les mettre en oeuvre pour une plus grande protection de l'ensemble de nos concitoyens.

Il faut veiller à la protection des personnes et penser à l'ensemble de la population, continentale comme ultramarine, aux personnes en soin comme à celles qui les soignent. Notre sécurité sanitaire n'est réelle que si la santé des plus vulnérables est garantie. Il est donc impératif de lutter contre toutes les formes de précarité et de violence : je pense aux femmes, en première ligne pour affronter l'épidémie et qui, confinées, courent des risques accrus. Je pense aux enfants, notamment aux enfants placés et aux mineurs isolés. Je pense aux personnes en situation de handicap, aux personnes enfermées en prison ou en centre de rétention administrative, dont plusieurs associations demandent la libération.

Il faut aussi veiller à la protection des salariés. Le confinement est l'un des outils jugés les plus efficaces pour stopper la propagation du virus. Un maximum de personnes doit rester confiné. De notre point de vue, on ne doit pas faire de distinction entre ceux qui peuvent travailler chez eux et ceux qui ne le peuvent pas, car la division entre les tâches pouvant être effectuées à distance et celles qui ne peuvent pas l'être recouvre en grande partie la distinction entre emploi de bureau et emploi manuel, c'est-à-dire entre bien rémunéré et précaire ou dévalorisé. C'est injuste et cela fait courir un risque à tout le monde. De notre point de vue, seules les personnes exerçant un emploi stratégique, nécessaire à la lutte contre la pandémie, doivent se rendre sur leur lieu de travail. Il faut protéger ceux qui exercent l'un de ces métiers essentiels. Pour nous, la règle doit être : un salarié, un test, un masque, des protections maximales.

Les emplois stratégiques sont particulièrement à risque du fait des déplacements qu'ils imposent et des pratiques professionnelles qui exposent continuellement à la contamination. Soignants, infirmiers, médecins, membres de la réserve sanitaire qui attendent de relayer leurs collègues, assistants à domicile, sages-femmes, caissiers, personnels de ménage, agents de sécurité, personnels des hôpitaux, de la grande distribution, des transports, des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), éboueurs, agents des services publics essentiels : tous devraient disposer de masques, de gel hydro-alcoolique et de tests. Il faut une mobilisation des outils de production, jusqu'à la réquisition, pour fournir ce matériel aux salariés qui en ont besoin.

Ils doivent aussi pouvoir s'organiser collectivement pour déterminer les meilleures modalités de travail et les modes de protection, car ce sont eux qui connaissent le mieux les processus les plus protecteurs. Leur statut doit être garanti, soit par la titularisation des trop nombreux contractuels de la fonction publique, soit par leur intégration au groupe donneur d'ordre : je pense par exemple au personnel en sous-traitance dans les services.

Pour les métiers non essentiels, la règle doit être le confinement et la garantie des droits. Que les employeurs qui poursuivent leur activité au détriment de la santé des travailleurs soient sanctionnés ! Il faut garantir le maintien de l'emploi et des revenus et, pour les personnes sans emploi ou en recherche d'emploi, une indemnisation à un taux maximal.

Il est urgent de dire clairement quels sont les secteurs essentiels à la lutte contre la pandémie et ceux qui ne le sont pas.

Troisièmement, il faut protéger la démocratie. Il faut maintenir le contrôle parlementaire de l'exécutif et encadrer ses pouvoirs : ils ne doivent s'exercer que par nécessité et avec proportionnalité. Il importe d'associer à la prise de décision des représentants de la société civile, des associations et des organisations syndicales, ainsi que des personnes touchées par la maladie. Comme le rappelle un collectif travaillant sur les enjeux de santé publique et de droits humains, incluant certains membres de l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, l'histoire des trente dernières années, notamment la lutte contre le sida, montre à quel point cette inclusion est essentielle pour trouver des réponses efficaces à une épidémie. Elle compenserait les défauts de culture de santé publique qui se manifestent dans plusieurs signaux contradictoires ou dans certaines décisions prises.

Enfin, il importe de garantir les droits des citoyens. Nulle part et sous aucun prétexte les droits des citoyens, notamment à la sûreté, ne peuvent être bafoués au motif qu'il faudrait faire respecter le confinement. Celui-ci ne justifie ni les discriminations sociales et raciales, ni les violences institutionnelles.

J'aimerais conclure par quelques mots du sociologue Frédéric Lordon : « En réalité, une pandémie du format de celle d'aujourd'hui est le test fatal pour toute la logique du néolibéralisme. Elle met à l'arrêt ce que ce capitalisme demande de garder constamment en mouvement frénétique. Elle rappelle surtout cette évidence qu'une société étant une entité collective, elle ne fonctionne pas sans des constructions collectives – on appelle ça usuellement des services publics. » Les mesures que nous prenons aujourd'hui vont déterminer le monde d'après. Elles ne doivent pas seulement répondre à une crise conjoncturelle, mais prendre en compte ses causes structurelles, sociales, économiques et écologiques. Notre boussole dans la tourmente reste la perspective, l'exigence, de changer ce monde en perdition, de le faire radicalement bifurquer vers de nouveaux jours heureux et de retrouver le goût du bonheur.

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