Intervention de Simon Cauchemez

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Simon Cauchemez, responsable de l'unité de modélisation mathématique des maladies infectieuses à l'institut Pasteur :

Monsieur Rebeyrotte, les pays d'Asie, comme la Corée du Sud, ont une grande expérience, liée au SRAS ou au MERS-CoV. La définition d'une stratégie est un enjeu majeur. Nous n'avions pas la même perspective il y a trois ou quatre mois. Il s'agit bien d'une guerre et, pour éviter les alternances de confinement et déconfinement, nous devons innover et impliquer massivement non seulement les développeurs, mais toute la société. Va-t-on y réussir dans le contexte français ? Je ne sais pas, mais nous devons essayer.

Vous avez raison, la priorité actuelle n'est pas de penser et de communiquer sur le déconfinement, mais bien sur le confinement, même si les parlementaires doivent réfléchir aux implications de plus long terme. À chaque fois qu'une stratégie de sortie est évoquée, on crée effectivement du relâchement… Cela étant, on ne peut imaginer rester confinés pendant un an ou dix-huit mois, dans l'attente d'un vaccin. La réflexion sur les outils du déconfinement est donc indispensable.

Quelle proportion de la population doit être confinée ? Pour évaluer l'impact de la fermeture des écoles, nous avions l'habitude de comparer la transmission de la grippe pendant les vacances et hors vacances scolaires. Nous pouvons également le faire pour le télétravail. Mais l'actuel confinement est inédit et nos modèles mathématiques trouvent donc leur limite. Nous savons qu'il faut réduire drastiquement les contacts pour diminuer efficacement la transmission, mais nous ne savons pas déterminer exactement la proportion de population à confiner. Nous pouvons seulement dire que ces trois semaines de confinement ont sans doute permis de réduire la transmission du virus d'environ deux tiers, ce qui était notre objectif en fin de confinement.

Monsieur Gauvain, les applications sont importantes, mais sont-elles vraiment indispensables ? Il y a quatre mois, la plupart des spécialistes vous auraient assuré que la détection des cas et le suivi des contacts représentaient un effort énorme, voire impossible en France. Mais, désormais, il faut maximiser autant que possible l'efficacité du processus, qui peut d'ailleurs également échouer si la logistique des tests ou le rendu des résultats ne sont pas bons. Les applications sont un moyen parmi d'autres pour l'améliorer.

Nous savons que nous ne disposons pas, actuellement, des moyens nécessaires pour assurer un suivi correct des contacts à grande échelle. Nous devons donc, me semble-t-il, recourir à une stratégie qui combine un renforcement considérable des équipes qui travaillent sur le terrain, notamment auprès des populations qui n'ont pas accès au numérique, et le déploiement d'une application. Si celle-ci est réellement utilisée, et je crois, à titre personnel, qu'elle peut susciter une adhésion forte de la population, elle peut représenter un élément important du dispositif.

La stratégie d'identification des cas et de suivi des contacts n'a de sens qu'une fois l'épidémie éteinte, lorsque l'on est en mesure de détecter très rapidement les personnes contaminées et de retrouver celles avec lesquelles elles ont été en contact.

La question des modalités de mise en oeuvre du traçage est complexe. Quel type de contact est susceptible de transmettre le virus ? Il est difficile de le dire. Si ces outils sont développés et utilisés, il sera important d'évaluer leur impact sur l'épidémie en situation réelle. Si l'on s'aperçoit, par exemple, que tous les contacts positifs sont identifiés par des équipes de terrain et non par l'application, sans doute faudra-t-il revoir son utilisation. De même si, à l'inverse, son efficacité est avérée.

Faut-il rendre le dispositif obligatoire ? Je me garderai bien de faire des recommandations en la matière ; je peux simplement vous éclairer sur le niveau d'efficacité requis pour atteindre l'objectif fixé : la réduction des éléments de transmission de deux tiers. En tant que scientifique, ce que je peux dire, c'est que l'utilisation massive des outils numériques sera importante, qu'elle soit obligatoire ou fondée sur le volontariat. Il reviendra aux autorités d'apprécier l'approche qui doit être privilégiée, en sachant que si l'on ne parvient pas à contrôler l'épidémie, on risque d'être confronté à une seconde vague et de devoir imposer un nouveau confinement.

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