Je remercie la commission des Lois de son intérêt pour le travail des agents du service public pénitentiaire, dont je salue le sens de l'intérêt général, la mobilisation et le courage.
Des mesures ont été prises très rapidement, depuis le 27 février 2020, puis adaptées à la situation sanitaire et aux consignes interministérielles. Une dizaine d'instructions ont été transmises aux établissements et aux services pénitentiaires, dont je réunis régulièrement les directeurs interrégionaux.
Dans les établissements, 1 893 agents ont signalé des symptômes évocateurs du Covid-19, et 204 ont été testés positifs ; chez les détenus, nous avons eu 1 330 signalements et 76 tests positifs. Le 14 avril, il restait 65 agents positifs et 465 présentaient des symptômes ; 34 détenus étaient positifs et 433 présentaient des symptômes. L'épidémie apparaît donc contenue. À ce jour, nous déplorons toutefois la mort d'un surveillant d'Orléans-Saran et d'un détenu de Fresnes. Les directions interrégionales les plus touchées sont celles de Strasbourg et de Paris.
Notre réponse, au stade 3 de l'épidémie, repose, au-delà des mesures d'hygiène générales, sur l'identification des personnes vulnérables, le diagnostic et le confinement de tous les cas suspectés ou avérés grâce aux unités sanitaires rattachées aux établissements, ainsi que la réduction des mouvements et des regroupements en détention. Les conséquences sur la vie des prisons sont majeures : les activités sportives, socio-culturelles et cultuelles collectives ont été suspendues. Les promenades se font en groupes réduits. Les gestes barrière sont régulièrement rappelés.
La prise en charge médicale a été définie et adaptée par des directives conjointes de la direction générale de la santé et de la direction de l'administration pénitentiaire. En cas de symptômes, une consultation est organisée. Les détenus malades sont vus quotidiennement par un soignant, évidemment équipé de masque de protection ; ils sont isolés, y compris lors des promenades, et portent un masque. Un regroupement de malades dans une même cellule peut être organisé. Les critères médicaux d'hospitalisation sont identiques à ceux appliqués à la population générale, avec le 15 comme régulateur.
Les hospitalisations qui ne relèvent pas de la réanimation sont réalisées en priorité dans les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) ou à l'établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF), ce qui réduit la mobilisation des forces de l'ordre pour assurer la surveillance des malades.
En complément de ces mesures sanitaires, la question des tests de dépistage a été précisée par une instruction conjointe des ministres de la Santé et de l'Intérieur du 9 avril 2020. Les personnels et les détenus sont considérés comme prioritaires pour les tests, dont les préfets sont chargés du déploiement, en lien avec les agences régionales de santé (ARS).
La protection des agents repose avant tout sur les mesures barrière. Nous fournissons 2 500 litres de gel hydroalcoolique par semaine aux établissements et cet approvisionnement est aujourd'hui sécurisé.
Dès le 20 mars, la garde des sceaux a annoncé l'achat de 200 000 masques et les établissements les ont reçus dès le 27 mars. Le 28 mars, nous étions certains de la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement pour toute la durée restante de la crise sanitaire et le port a pu être prescrit pour les personnels en contact direct et prolongé de la population pénale, à charge pour chaque chef d'établissement d'adapter la liste précise des agents concernés en fonction des missions et de l'organisation du travail locale. 300 000 masques supplémentaires seront livrés aux directions interrégionales d'ici au 17 avril.
Huit ateliers pénitentiaires – et deux autres prochainement – travaillent à la fabrication de masques lavables et réutilisables : ils peuvent en fournir 6 000 par jour, dont un tiers serviront aux directions du ministère.
Nous sommes donc raisonnablement assurés d'être autosuffisants pour les prochaines semaines, et même jusqu'à juin.
S'agissant de la situation sécuritaire, plusieurs incidents ont eu lieu, surtout au cours du week-end des 21 et 22 mars, en lien avec la suspension des activités et des parloirs en raison du confinement de la population générale, en particulier une mutinerie à Uzerche, qui ont parfois rendu nécessaire l'intervention des équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS) ou de la police et de la gendarmerie, mais sont restés très circonscrits. Un effet d'émulation a pu jouer à partir des réseaux sociaux.
Les revendications portaient moins sur la suspension des parloirs, que sur les mesures d'accompagnement et les libérations anticipées. Ces incidents ont pu naître des atteintes portées à certains trafics par la suspension des parloirs. Plus de 140 sanctions disciplinaires ont été prononcées et des transferts ont eu lieu. L'autorité judiciaire a sévèrement condamné les auteurs de violences et de dégradations, notamment les tribunaux correctionnels de Paris, Béziers, Nice ou encore Le Mans.
Pour pallier les conséquences du confinement, l'administration a instauré la gratuité de la télévision et distribué des crédits téléphoniques de 20 euros pour le mois de mars et de 40 euros pour le mois d'avril – cela correspond à environ onze heures d'appel vers un poste fixe. La consommation de téléphonie légale a fortement augmenté dès les premiers jours de mise en place de ces dispositifs avec environ 215 % d'appels en plus. Le service de messagerie créé est passé de 14 messages le 1er avril, à 450 hier. Les secours financiers aux détenus sans ressources suffisantes ont beaucoup augmenté, de 20 à 40 euros, et 37 000 détenus ont pu en bénéficier, soit plus du double du nombre habituel.
Toutes ces mesures, reconduites tant que les parloirs sont suspendus, ont un coût important. L'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale a ouvert des perspectives nouvelles, notamment en matière d'assignation à résidence en fin de peine pour les reliquats inférieurs à deux mois et de réduction de peines supplémentaires exceptionnelles pour les reliquats de deux à six mois en particulier : les greffes et les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) sont fortement mobilisés pour appliquer ces mesures, qui ont rencontré un écho favorable dans les juridictions.
Leurs conséquences, ainsi que celles du ralentissement de l'activité des juridictions et de la circulaire du 14 mars relative aux alternatives à la détention, sont fortes : les nouveaux écrous sont passés, en moyenne, de 215 à 80 par jour ; les sorties de 209 à 404. Au total, le nombre de détenus a diminué de 9 923 entre le 16 mars et le 13 avril, parmi lesquels 3 335 prévenus, pour atteindre 62 650. La densité carcérale est aujourd'hui de 103 % en moyenne, et de 116 % en maison d'arrêt.
Le rejet par le Conseil d'État, le 8 avril, des recours formés par le syndicat Force ouvrière comme par l'Observatoire international des prisons et d'autres associations est le signe que les mesures ne sont pas tout à fait inadéquates.