L'aspect sécuritaire de la crise sanitaire est géré par la cellule interministérielle de crise qui est placée sous la responsabilité du ministère de l'Intérieur, la gendarmerie nationale ayant créé un centre pour la gestion des opérations déconcentrées, sous l'autorité des préfets de zone et de département. Nous faisons respecter le confinement tout en assurant la continuité de nos principales missions.
La manoeuvre comporte trois lignes d'opérations qui couvrent toutes les dimensions : opérationnelles, ressources humaines, logistique, systèmes d'information, communication, innovation. Nous avons opté pour des circuits de décision clairs et courts, nous appuyant sur la subsidiarité et encourageant l'esprit d'initiative local.
Première ligne d'opération : le contrôle du respect de l'obligation de confinement. Chaque jour, 60 000 à 65 000 gendarmes, sur 100 000, sont mobilisés. Les gestes barrières et différents modes de fonctionnement ont permis de limiter le nombre de malades et donc de ne pas entamer la réserve opérationnelle, forte de 30 000 personnes, qui servira lors de la phase suivante.
Un peu plus de 8 millions de contrôles ont été réalisés, avec un taux de verbalisation de 4,4 %. Seuls 116 signalements sont parvenus à l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), dont seulement une quinzaine de mises en cause de gendarmes qui auraient manqué de discernement. Nous avons donné des directives de fermeté mais aussi de discernement car il existe beaucoup de cas particuliers, notamment des personnes qui se déplacent pour travailler. Les violences physiques et verbales contre les gendarmes ont augmenté de 73 % – + 36 % en métropole et + 241 % outre-mer pour les violences physiques ; + 75 % en métropole et + 57 % outre-mer pour les violences verbales.
Si la mission de contrôle est très visible, nous restons engagés dans la sécurisation des commerces et la lutte contre les violences intrafamiliales, les cybermenaces, les atteintes à la santé publique et les fraudes. Le réseau Cybergend, constitué de 5 500 membres, a traité 825 incidents cyber, qui ont fait l'objet de 235 procédures judiciaires et entraîné la fermeture de 80 sites internet. Le nombre d'opérations de prévention est remarquable : près de 7 000 sensibilisations de cibles potentielles, dont 60 hôpitaux, 40 industries de santé, une vingtaine de laboratoires, 900 pharmaciens, 1 300 élus locaux et 4 000 entreprises.
La deuxième ligne d'opérations consiste à préserver le potentiel opérationnel de la gendarmerie. Comme la police, nous avons vidé nos écoles : 3 700 élèves ont été envoyés dans les unités, tandis que les officiers en formation ont été affectés dans les structures internes, ministérielles ou interministérielles. Les missions non essentielles ont été mises en stand-by et toute la partie soutien est consacrée à la protection de la population, des institutions et des organes vitaux du pays.
Les unités fonctionnent en bordée (par roulement), de manière à éviter que les agents se croisent et puissent répandre l'infection à toute l'unité. Nous avons développé 6 400 moyens de télétravail sécurisés, notamment dans les états-majors.
La réserve devait intervenir quand le taux d'attrition serait le plus important mais nous l'avons préservée en anticipant la phase suivante : il faudra gérer l'été, le Tour de France, la reprise de nombreuses activités en septembre. Il s'agira de permettre à des personnels très engagés de se reposer, sans discontinuité du service.
Je craignais qu'on ait davantage d'infections. Nous avons lourdement insisté sur le respect des gestes barrières et la distanciation sociale, et nous avons aménagé les locaux. Au plus fort de l'épidémie, début avril, 2,3 % des gendarmes étaient confinés. Puis, pour éviter de fermer les brigades, nous avons demandé de ne confiner que les gens symptomatiques ou ayant été en leur présence. Finalement, 0,68 % de gendarmes sont confinés et un est malheureusement décédé. Au total, 471 gendarmes ont été testés positifs ; beaucoup sont déjà guéris et ont pu reprendre le service.
Nous avons appliqué la doctrine interministérielle de port des protections. La crainte du gendarme, qui habite en caserne avec sa famille, est de lui transmettre le virus. Il a fallu apprendre à appliquer les gestes barrières, avant de porter un masque. En moyenne, chaque gendarme consomme un peu moins d'un masque et demi par semaine, avec de fortes disparités en fonction des régions. Tous les véhicules disposent d'un kit de protection à utiliser par les gendarmes s'ils se sentent menacés, mais porter un masque de manière préventive ne sert à rien : deux gendarmes portant un masque dans leur voiture, c'est ridicule ! La propagation du virus dans nos rangs est finalement faible.
Au 21 avril la gendarmerie a reçu 2,25 millions de masques : cela permet d'en disposer dans toutes les brigades, mais aussi de constituer des stocks. Nous avons expérimenté des équipements alternatifs : 48 250 visières en plexiglas, qui couvrent les yeux, le nez et la bouche, ont été distribuées et les retours sont excellents. Dans les locaux accueillant du public, des dispositifs en plexiglas ont été installés pour éviter toute contamination entre gendarmes et public. Nous avons multiplié par cinq les effectifs de la brigade numérique, qui permet aux citoyens de tchater avec les gendarmes et les sollicitations se comptent en dizaines de milliers.
Troisième ligne d'opération : le maintien de la cohésion interne et l'accompagnement du personnel. Le numéro vert créé pour toute question touchant les gendarmes et leurs familles a reçu quelques centaines d'appels. Nous envoyons chaque jour des directives opérationnelles et des points de situation et avons des échanges avec les commandants de groupement via la messagerie Tchap. Mes visioconférences avec les commandants de région associent les instances de concertation et les syndicats des personnels civils ; les échanges sont francs et directs. Ce dispositif sera conservé après la crise car il maintient l'état d'esprit et l'engagement.
Dernier point sur nos capacités d'adaptation : l'innovation est importante, nous l'avons démontré en fabriquant nos propres visières. Notre laboratoire projetable travaille à l'amélioration de notre capacité de dépistage, avec l'aide de la police nationale, qui nous a renforcés en matériel.
Les personnes fragiles ou vulnérables étant de plus en plus nombreuses, nous souhaitons sortir du périmètre de notre mission en faisant preuve de solidarité. J'ai demandé à mes commandants de groupement de se rapprocher des personnes âgées, des victimes potentielles de violences intrafamiliales, ou des soignants, qui sont en première ligne et ont besoin de tout notre soutien.
Nous avons monté une opération baptisée « Répondre présent », centrée sur la solidarité et la cohésion de la nation. L'objectif est de proposer une offre de sécurité sur mesure, sous l'autorité des préfets. Ainsi, en Corse, où les villages de montagne sont parfois difficiles d'accès, les gendarmes apportent les médicaments aux personnes âgées ; à Auxerre, un escadron livre des pizzas aux soignants. Dans plusieurs départements, nous avons lancé l'opération « Tranquillité seniors », qui vise à rassurer leurs familles. De telles initiatives permettent de renouer des liens, de créer de la solidarité, de reconquérir la confiance de la population.
Nous cherchons à accompagner les élus locaux dans la cybersécurité car les collectivités territoriales sont particulièrement vulnérables. Nos référents sûreté sont capables d'auditer un réseau et de conseiller un maire sur ce sujet.
Nous avons vraiment tout fait pour nous adapter et pour anticiper car nous aurons encore des combats à mener demain.