Nous vivons une crise sanitaire sans précédent ; je pense que chacun en a parfaitement conscience. Il est bien légitime et extrêmement utile que dans une période de crise, le Gouvernement puisse être contrôlé par le Parlement. C'est le coeur de la démocratie et c'est encore plus important dans une période où les décisions sont lourdes à prendre et ont un impact évident sur la vie de nos concitoyens.
Nous sommes donc très attentifs, le ministre des solidarités et de la santé, l'ensemble des membres du Gouvernement et moi-même, à permettre ce contrôle, à être présents aux questions au Gouvernement – j'y assiste personnellement –, à transmettre l'ensemble des décisions qui sont prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, comme la loi nous l'impose, et aussi à aller plus loin que la loi en transmettant à l'Assemblée nationale et au Sénat les projets d'ordonnance qui sont pris sur le fondement de la loi du 23 mars, mais qui ne relèvent pas stricto sensu de l'état d'urgence sanitaire. Nous vous les transmettons avant même leur adoption par le conseil des ministres, de façon à parfaire l'information du Parlement. Je ne sais pas si le chef du gouvernement britannique ou ceux des gouvernements allemand, italien ou espagnol ont des auditions devant des commissions parlementaires ad hoc ou permanentes comme celle à laquelle nous nous livrons aujourd'hui, mais je pense que l'exercice est indispensable.
Nous allons évidemment essayer, Olivier Véran et moi-même, de répondre aux questions que vous posez, mais nous ne savons pas tout. Face à des événements de la nature de ceux que nous vivons, face aux questionnements scientifiques qui se posent en permanence, et face aux conséquences de décisions telle que celle du confinement, prise non seulement en France mais dans de nombreux autres États, nous ne savons pas tout. Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer samedi en m'exprimant devant les Français, nous avons pris le parti de dire ce que nous savons, et de dire ce que nous ne savons pas. Nous pouvons expliquer nos décisions et les contraintes auxquelles elles sont soumises, mais ces décisions – chacun peut, je pense, le comprendre – sont souvent prises sur le fondement d'informations qui sont parfois incomplètes, et souvent contradictoires. Peut-être est-ce susceptible de surprendre ceux qui nous écoutent, mais c'est un fait : dans les périodes de crise plus encore que dans les périodes de calme, les décisions des autorités politiques sont souvent prises sur le fondement d'informations incomplètes et contradictoires, et il est toujours beaucoup plus facile d'apprécier leur caractère opportun une fois que l'on sait ce qui s'est passé.
Nous menons un combat contre un virus. C'est un combat long et qui va durer ; un combat difficile, qui impliquera parfois des mauvaises nouvelles et des déceptions, par exemple lorsque nous pensons avoir atteint un pic ou trouvé une piste en matière de traitement. C'est donc un combat dont je ne veux cacher à aucun de nos concitoyens la dureté. Je peux assurer que nous le livrons avec une volonté farouche et un engagement total ; c'est vrai pour l'ensemble des parlementaires, mais je veux en attester pour les membres du Gouvernement. Toute notre énergie est consacrée à lutter contre le virus et à trouver les solutions les plus adaptées, compte tenu des contraintes qui s'imposent à nous.
Enfin, ce combat est devenu mondial. Nous vivons une situation unique : jamais la moitié de l'humanité n'avait été confinée ; jamais les économies des pays les plus développés – ceux qui contribuent le plus activement à la production mondiale – n'avaient été interrompues aussi brutalement et aussi largement. Peut-être, a posteriori, faut-il le regretter, et sans doute faudra-t-il en tirer les conséquences, mais il apparaît clairement qu'aucun système de santé au monde n'a été construit, pensé, dimensionné pour faire face à ce que nous vivons, à une vague de cette ampleur. Il apparaît en outre que l'ensemble des pays du monde sont confrontés à cette vague en même temps ; les deux phénomènes cumulés nous placent dans une situation parfaitement inédite. Je peux attester devant la représentation nationale qu'aucun dirigeant d'aucun des pays avec lesquels nous avons pu entrer en contact – c'est vrai du chef du Gouvernement, mais aussi de chacun des ministres dans son champ de compétences, et peut-être également des parlementaires dans le cadre de leurs contacts avec d'autres parlementaires européens ou internationaux – ne prend la situation à la légère, et qu'aucun responsable ne peut exprimer autre chose que sa profonde inquiétude et sa très grande concentration. Il n'y a pas d'État où l'on verrait les choses avec légèreté et sans inquiétude.
J'en viens à la première question qui m'a été posée, monsieur le président, et de ce que nous avons commencé à désigner sous le terme de déconfinement, c'est-à-dire la fin de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, qui veut que nos concitoyens se trouvent confinés, donc assujettis à un régime qui restreint leurs possibilités de sortir de chez eux. Ils doivent rester chez eux, nous devons rester chez nous, et cette règle générale, même si elle souffre un certain nombre d'exceptions, s'impose à tous.
La question que vous posez à ce propos est redoutablement complexe, d'abord parce qu'il n'y a pas de précédent. On n'a jamais confiné aussi largement autant de gens ; par définition, on n'a donc jamais déconfiné aussi largement autant de gens. Il n'y a ni processus écrit, ni méthode éprouvée.
Le seul précédent qui existe, à savoir le déconfinement que la Chine a appliqué à la région du Hubei, après de longues semaines de confinement, n'est pas reproductible à l'identique chez nous, puisque seules plusieurs régions, non la totalité du pays, étaient concernées. Il n'existe donc pas de méthode à suivre pour le déconfinement.
Il est également délicat de répondre à votre question car la réalisation du déconfinement dépendra d'éléments que nous ne connaissons pas entièrement aujourd'hui. Il sera ainsi différent selon qu'il existera ou non des traitements éprouvés.
La réponse apportée pourra aussi dépendre de notre capacité à pratiquer des tests – encore faut-il savoir de quels tests nous parlons et connaître notre capacité à les produire et à les réaliser dans de bonnes conditions.
Le déconfinement dépendra aussi de la façon dont le virus aura circulé et de la proportion de nos concitoyens qui, ayant été en contact avec lui, auront développé des anticorps les immunisant, donc de la manière dont le virus pourrait recommencer à circuler. Je parle là sous le contrôle d'Olivier Véran, qui est médecin, ce que je ne suis pas et ne prétends pas être.
Il est à peu près acquis à ce stade que nous avons décidé du confinement en application d'une stratégie que le ministre des solidarités et de la santé et moi-même avons plusieurs fois expliquée, qui consiste à limiter le nombre de cas sévères, en essayant de faire en sorte qu'il ne dépasse pas le nombre de lits disponibles dans les services de soins intensifs et de réanimation. Aussi longtemps qu'il n'existe pas de traitement éprouvé ni de vaccin, cet indicateur reste décisif pour le déconfinement. Il est donc probable – j'insiste sur ce terme – que nous ne nous acheminions pas vers un déconfinement général, absolu, en une fois, partout et pour tout le monde.
Nous avons demandé à plusieurs équipes de travailler sur le déconfinement, en étudiant l'opportunité et la faisabilité d'un déconfinement régionalisé, ou sujet à une politique de tests qu'il faudra préciser, voire d'un déconfinement en fonction de classes d'âge. Nous sommes en train d'expertiser des scénarios, selon plusieurs hypothèses.
La discussion sur le déconfinement devra avoir lieu. C'est une stratégie nationale, qui devra être présentée et discutée. Elle le sera. Elle devra, avant tout, prendre en compte des impératifs de santé et de protection de la santé.
Je le dis là encore avec prudence, nous espérons pouvoir avancer sur le sujet et présenter des éléments d'une stratégie de déconfinement dans la semaine, les jours qui viennent, de façon à donner une perspective à nos concitoyens.
Croyez bien que je mesure parfaitement les contraintes pesant sur nos concitoyens et la difficulté qu'éprouvent certains d'entre eux à faire face à cette période de confinement, qui n'est pas simplement un inconfort, mais peut aller jusqu'à de vraies menaces, de vrais risques, de vraies inquiétudes. Nous aurons l'occasion de les évoquer, à la fois sur les plans sanitaire et psychologique, ou s'agissant des violences qui peuvent être commises sur les femmes et les enfants. À tous égards, je mesure les inconvénients et le risque qui s'attachent à une période de confinement très ou trop longue.
Nous sommes en train de poser les jalons de la réflexion et d'étudier les scénarii. Nous avons besoin de continuer à travailler pour exposer les conditions dans lesquelles nous pourrons organiser le déconfinement, en garantissant et en protégeant la santé de nos concitoyens.