Monsieur le président Studer, il y aurait beaucoup de choses à dire sur les questions d'éducation mais comme je vais être pris par le temps j'irai droit au but tout en essayant d'expliquer quelles sont nos contraintes.
Le ministre de l'éducation nationale a évoqué la date du 4 mai comme une hypothèse. Certes, je sais que lorsque l'on parle aujourd'hui dans le débat public d'une hypothèse, celle-ci devient assez rapidement une certitude, voire une annonce, mais la vérité est que c'est une hypothèse. Nous aimerions pouvoir travailler sur cette hypothèse d'une réouverture des établissements scolaires au début du mois de mai, mais cette question est bien entendu liée à celle plus générale du déconfinement et des conditions dans lesquelles nous allons pouvoir procéder à celui-ci. Je vous renvoie aux éléments de réponse que j'ai donnés au début de mon intervention.
La continuité pédagogique est à la fois nécessaire et très difficile. Les professeurs savent mieux que personne que l'art d'enseigner ce n'est pas simplement l'art de transmettre des connaissances par l'intermédiaire d'un écran, voire en tête-à-tête. Dans l'art d'enseigner, il y a l'émulation d'une classe et d'un groupe, il y a la façon de réagir à ce que disent les autres. L'enseignement par classe est un travail collectif. Nous sommes confrontés à une situation sans précédent de confinement. Nous ne pouvions pas ne rien faire. Il était indispensable que les enseignants puissent continuer à faire travailler leurs élèves, à les faire lire, à vérifier que les connaissances sont acquises et, le cas échéant, qu'ils procèdent bien à des exercices. Comme vous, monsieur le président Studer, je suis très impressionné par la très grande inventivité et la très grande motivation dont font preuve nombre d'enseignants pour faire travailler les enfants et pour poursuivre leur mission dans un environnement dégradé. C'est admirable. Au début, il y a eu soit des problèmes techniques, soit trop de travail donné à certains élèves, soit trop de travail donné en même temps aux mêmes élèves. Nous sommes en train de nous caler. Certes, le dispositif n'est pas parfait mais l'engagement est exceptionnel. C'est l'idée de la continuité pédagogique.
Les vacances de printemps arrivent. Alors que le confinement va demeurer, il n'est pas question de dire que ces vacances n'auraient pas lieu d'être. Les professeurs travaillent en ce moment, souvent de chez eux, et certains se sont engagés volontairement à venir dans les écoles garder les enfants des soignants. Ce travail doit s'interrompre pour les professeurs et pour les élèves mais cela ne signifie pas que toute activité doive cesser. Lorsque l'école se déroule normalement il peut arriver que des professeurs donnent des devoirs à leurs élèves pendant les vacances. On peut imaginer la même chose en l'occurrence, mais il est important de préserver cette période de vacances pour le repos des esprits et pour pouvoir recommencer ensuite dans de bonnes conditions.
Sur le baccalauréat, tous ceux qui participent à son organisation savent que c'est une énorme machinerie qui prend beaucoup de temps et qui est lancée très en amont – définition des sujets, impressions, etc. Le confinement rend très délicate l'organisation du baccalauréat dans des conditions normales, très délicate matériellement et presque pédagogiquement, puisque les conditions d'enseignement sont dégradées par rapport à ce qui est la norme. Nous ne pouvons imaginer faire comme si de rien n'était. Il ne nous paraît donc pas raisonnable de penser, à l'instant où je vous parle, que le baccalauréat puisse se passer dans des conditions normales. Il faut donc étudier, et c'est ce que fait le ministre de l'éducation nationale, les conditions dans lesquelles le baccalauréat 2020 pourra être organisé. Plusieurs options sont sur la table. Il y a d'un côté ceux qui proposent de l'organiser par contrôle continu en assumant que cette année c'est celui-ci qui doit prévaloir entièrement, et de l'autre ceux qui souhaient essayer de conserver l'organisation d'une épreuve. Beaucoup d'idées sont formulées. De nombreuses contraintes s'appliquent à nous. Il est évident que cette question est fortement liée aux conditions dans lesquelles nous procéderons au déconfinement. Aussi est-elle soumise à beaucoup d'inconnues. Le ministre est en train d'instruire avec ses services les solutions qui sont envisageables et j'aurai l'occasion de m'exprimer prochainement, avec lui, sur le sens de la décision que nous prendrons. Vous imaginez bien qu'il est désormais acquis qu'il ne sera pas possible d'organiser le baccalauréat 2020 dans les conditions normales.
Enfin, monsieur le président Studer, vous avez souligné l'engagement de France 4, donc du service public en matière audiovisuelle, et singulièrement à la télévision pour essayer d'apporter un service supplémentaire à destination des élèves. Je salue moi aussi cet exercice fort bien réalisé et très utile.
Je ne reviendrai pas sur la question relative au secteur de l'assurance posée par le président Lescure puisque j'y ai déjà répondu. S'agissant du seuil de chiffre d'affaires à partir duquel les TPE et PME pourront bénéficier du fonds de solidarité que nous avons créé et qui est doté de 1,2 milliard – 200 millions versés par les assureurs, 250 millions par les régions, le reste par l'État –, nous avons pris la décision, après avoir beaucoup écouté les parlementaires, les entreprises et les corps intermédiaires, de faire en sorte que les entreprises qui ont été fermées par décision publique – je pense évidemment aux bars, aux restaurants qui ne peuvent plus exercer leur activité depuis le 15 mars – et toutes les entreprises qui auront vu leur chiffre d'affaires baisser de 50 % puissent en bénéficier. Initialement, nous avions envisagé un seuil à 70 %, mais nous avons décidé de l'abaisser à 50 % pour le mois de mars, et il sera évidemment conservé à 50 % pour le mois d'avril.
Enfin, le dispositif pour protéger les entreprises françaises qui pourraient se voir attaquées dans leur capital par une baisse de leur valorisation boursière, et être l'objet de raids ou d'achats massifs par des investisseurs étrangers, souverains ou non, est assez complet. Comme vous le savez, ce dispositif a été étendu par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, à de nouveaux secteurs grâce à des instruments que nous mettrons en oeuvre s'il le faut. Nous sommes extrêmement vigilants sur son application. Nous utiliserons toutes les prérogatives qui sont celles de l'État, à la fois dans les entreprises où l'État est déjà actionnaire – il y en a près de quatre-vingt-dix – et, le cas échéant, dans celles où l'État n'est pas actionnaire mais qui pourraient présenter un intérêt ou un enjeu de souveraineté nationale. Nous avons indiqué que nous serions prêts à prendre nos responsabilités et je répète ici cette totale et farouche volonté.
Mme la présidente de Sarnez a évoqué le fonctionnement de la solidarité européenne à l'intérieur de l'Union européenne et à l'extérieur vis-à-vis de nos partenaires, et la question de la relance économique. La solidarité et la réaction européenne ont été réelles. Ont-elles été suffisantes ? C'est une question que tous ceux qui attendent beaucoup de l'Europe sont en droit de se poser et qui va nourrir le débat politique, les transformations et les évolutions qui ne manqueront pas d'intervenir parce que nous tirerons les enseignements de cette crise.
La réponse européenne a été réelle sur le plan sanitaire avec un appel à projets de financement de la recherche sur des vaccins, la création d'une réserve stratégique en matière médicale et le lancement par la Commission de quatre marchés conjoints d'achat d'équipements qui ont permis de grouper des commandes.
La réponse européenne a été réelle sur le plan économique, avec des mesures de soutien à l'économie, la mobilisation de 37 milliards d'euros via le fonds de cohésion qui n'avaient pas été consommés, la reconnaissance de la pleine flexibilité s'agissant du régime des aides d'État – l'Union européenne a en effet considéré qu'en cette période de crise, le contrôle qu'exerçait la Commission, parfois jugé tatillon par l'ensemble des États, devait être relâché afin de donner des marges de manoeuvre très larges aux États –, avec la suspension des règles budgétaires et de déclenchement de la clause dérogatoire générale, ce qui là aussi donne de l'espace aux États pour gérer leurs réponses budgétaires. Je citerai encore l'adaptation de la législation en matière de transport aérien et d'autres mesures prises collectivement qui, si elles ne sont pas forcément spectaculaires, ont été très utiles pour l'importation des produits médicaux. Je voudrais aussi saluer la réponse de la Banque centrale européenne, institution de nature un peu particulière, mais qui a très fortement réagi le 18 mars avec le programme de soutien d'urgence d'un montant de 750 milliards d'euros, ce qui a considérablement détendu les marchés financiers. Ce n'est pas que j'aime particulièrement les marchés financiers ni que je les déteste, mais s'ils avaient commencé à dysfonctionner, l'impact pour le monde économique aurait été plus fort et plus brutal encore.
Enfin, il y a eu une solidarité européenne s'agissant de dons d'équipements médicaux, d'accueil de patients, d'opérations de retour et de rapatriement. La France a ainsi ramené des concitoyens européens, notamment depuis la Chine, au début de l'épidémie, les conditions de sûreté et de sécurité sanitaires ayant été remplies. Les États européens de ces ressortissants nous ont fait part de leur reconnaissance quant à la bonne réalisation de ces opérations. Avec l'Allemagne, nous avons essayé d'aider nos voisins dans la mesure du possible, compte tenu de la pression qui pèse sur nous – je pense notamment à l'Italie –, et nous avons aussi bénéficié de la solidarité européenne. Le Grand Est le sait et le dit à juste titre à propos de l'Allemagne et du Luxembourg, ainsi que de la Suisse, donc également de pays hors de l'Union européenne.
La solidarité européenne a-t-elle été suffisante, assez réactive ? Madame la présidente, vous qui êtes, comme moi, une Européenne convaincue considérez peut-être qu'il aurait fallu aller plus loin et plus vite. Ces discussions devront avoir lieu.
S'agissant des questions relatives à la relance, nous mettons en oeuvre aujourd'hui une réponse d'urgence et de survie des entreprises dans la tempête. Demain, lorsque le pire de la crise sanitaire sera passé, il faudra songer à la relance, et il faudra que la relance économique européenne – peut-être y aura-t-il également une relance politique européenne – soit concertée. Ce sera l'un des enjeux des semaines et des mois suivants.
Vous avez évoqué la nécessité d'une solidarité avec nos partenaires internationaux, et notamment avec le continent africain. Quand on voit l'impact que cette crise a et peut avoir sur des États solides comme la France, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne, ou les États-Unis, on peut imaginer ce qu'il sera sur des États plus fragiles ou déjà soumis à des contraintes considérables. Tout le monde peut saisir les déséquilibres, voire les dysfonctionnements que ces difficultés entraîneront. Autrement dit, détourner les yeux et imaginer que ce problème n'est pas le nôtre parce que nous gérons l'urgence serait de mauvaise politique. Je vous rejoins volontiers dans l'idée que nous allons devoir réfléchir avec nos partenaires africains à la façon dont nous pouvons les aider à court terme compte tenu de nos contraintes, et construire à moyen et long terme le partenariat qui doit nous lier à eux.