Intervention de Edouard Philippe

Réunion du mercredi 1er avril 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Edouard Philippe, Premier ministre :

La question des médicaments est l'une des plus importantes qui se posent à nous. Je l'ai dit, nous sommes engagés dans un combat long et difficile ; si nous pouvons nourrir des espoirs, d'autres éléments sont de nature à nous inquiéter. Jamais, dans le monde, il n'a été fait autant recours aux services de réanimation. Cela suscite évidemment des tensions très fortes sur les matériels et les médicaments nécessaires. Dans les domaines où l'industrie nationale peut répondre à cette demande croissante, nous avons mobilisé tous les acteurs en lançant des commandes supplémentaires auprès des fabricants de respirateurs, tandis que d'autres entreprises réorientaient une partie de leur production.

En quelques semaines, la demande mondiale pour certaines molécules a augmenté de 2 000 % ; c'est dire les tensions considérables auxquelles seront soumis les systèmes de production. Nous avons choisi de mobiliser les stocks que les industriels sont tenus de détenir. Nous avons élaboré un plan national grâce auquel nous regroupons les commandes au niveau national, n'hésitant pas à utiliser la puissance de la diplomatie française lorsque les fournisseurs sont à l'étranger. Nous veillons quotidiennement à la bonne affectation des molécules et des produits.

Mais je veux dire la vérité : le stress et la demande sont considérables. Alors que nous disposions de stocks de moyen terme, voire de long terme, nous pouvons nous retrouver à gérer des stocks de très court terme, ce qui induit une angoisse supplémentaire pour les équipes soignantes. Je le comprends parfaitement. La gestion des stocks doit être très fine et très réactive. Je ne cache pas la réalité, c'est le sujet sur lequel nous nous concentrons actuellement et auquel nous attachons le plus d'importance.

Certes, nous avons de quoi tenir, mais ne sachant pas combien de temps le pic ou le plateau dureront, nous devons faire attention à la gestion des ressources. Nous devons parallèlement augmenter les capacités de production nationale et internationale pour répondre à une demande dont tout indique qu'elle restera très importante, pendant fort longtemps.

S'agissant du déconfinement, je laisserai le ministre de la santé répondre à la question portant sur les tests de dépistage. M. Mélenchon m'a interrogé sur le calendrier, la méthode et le contrôle parlementaire. Les parlementaires, cette audition en est la preuve, peuvent poser toutes les questions ; le Gouvernement doit y répondre en faisant la plus grande transparence sur ce qu'il sait, et sur ce qu'il ne sait pas. Je vous le dis, d'ailleurs, je ne peux répondre à toutes les questions portant sur le déconfinement, car de nombreux éléments demeurent inconnus, de moi comme de tous.

Nous devons travailler sur différents scénarios, en ayant toujours à l'esprit que la sécurité sanitaire est prioritaire et qu'ils soulèvent des questions ayant trait aux libertés individuelles, aux libertés publiques et à la vie économique. Je ne peux que m'engager à soumettre au contrôle parlementaire nos réflexions sur l'organisation du déconfinement, dont j'ignore encore le calendrier.

Comme je l'ai indiqué au début de mon propos, le déconfinement sera probablement progressif. Je ne crois pas que l'on puisse imaginer un déconfinement général et immédiat à une date donnée : ce serait prendre un risque sanitaire, celui d'un rebond de l'épidémie. Nous devons, ensemble, affiner cette réflexion.

La sécurité des travailleurs est évidemment une question très importante. Le confinement doit certes préserver notre santé, permettre de limiter le nombre de cas sévères et le nombre d'admissions dans les services de réanimation, mais il ne doit pas interrompre la continuité de la vie de la nation. Il convient donc qu'une activité économique minimale puisse se poursuivre, ce qui est difficile à organiser puisqu'il ne faut pas mettre en danger la santé de nos concitoyens. Mais c'est toutefois nécessaire, faute de quoi, in fine, la santé de nos concitoyens serait menacée, car les chaînes d'approvisionnement ne fonctionneraient plus, les pénuries se multiplieraient et nous nous retrouverions dans une situation encore plus délicate.

Avec le ministère du travail et en bonne intelligence avec l'ensemble des acteurs économiques, nous essayons donc d'élaborer des guides de bonnes pratiques afin d'organiser les méthodes et de garantir la sécurité sanitaire de tous. De telles discussions doivent également avoir lieu dans les entreprises. Dans nombre d'entre elles, c'est en effet grâce à celles qui sont menées entre les directions et les organisations syndicales que ces bonnes méthodes ont pu être définies, avec des activités peut-être un peu moins intenses dans certains endroits, plus intenses dans d'autres, de façon à garantir la poursuite de l'activité économique. Nous veillerons à ce que ces guides soient distribués et leurs préconisations appliquées. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons engagé la production de masques alternatifs.

Nous avons, en effet, souhaité que les masques chirurgicaux et les masques FFP2 soient mis à la disposition des soignants conformément aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'équipement des soignants en masques étant prioritaire. Parce que nous voulons garantir qu'ils seront disponibles dans la durée, nous avons donc vivement encouragé l'industrie française à produire des masques alternatifs dits de catégories 3 et 4, en tissu, répondant à des spécifications de production et d'usage permettant de garantir la sécurité de tous ceux qui travaillent avec sans se trouver pour autant en contact avec un très grand nombre de malades, à la différence des soignants.

Ces masques sont notamment testés par la Direction générale de l'armement (DGA), l'APAVE – groupe spécialisé dans les domaines de l'assistance, de l'accompagnement auprès des professionnels et de la formation professionnelle, entre autres dans les domaines de l'industrie et des analyses environnementales – et l'Institut français du textile et de l'habillement. Si nous avons d'abord eu des difficultés à trouver les entreprises industrielles souhaitant s'engager, l'effort national est lancé et c'est une excellente nouvelle : au 30 mars, 81 prototypes ont été proposés par 45 entreprises répondant aux exigences ; au total, 179 entreprises s'engagent dans la production de ces masques, dont certains pourront être lavables au moins cinq fois. La capacité quotidienne de production s'élèvera à 1 million de masques d'ici à la fin du mois d'avril.

C'est aussi avec ces masques que nous pourrons faciliter le retour au travail, le déconfinement et la poursuite de l'activité économique. Cela commence à fonctionner, un certain nombre de pays souhaitant savoir comment nous sommes parvenus à les tester et à les certifier. Nous sommes évidemment à leur disposition mais il importe d'abord d'augmenter la production nationale ce qui, monsieur le président Mélenchon, ne passe pas nécessairement par la réquisition ou la nationalisation.

Lorsqu'il faut réquisitionner, nous le faisons. Ce fut le cas au début du mois de mars pour les masques, afin d'éviter que la production nationale et les stocks ne partent à l'étranger, car nous savions que nous devions garantir un stock minimal de manière à pouvoir fournir les soignants.

Nous savons également que la réquisition ou, le cas échéant, la nationalisation, désorganisent parfois les flux de production. Si l'on ne veut pas obéir à des considérations que je ne dirais pas « idéologiques » afin de ne pas contrister le président Mélenchon, il faut s'assurer de l'effet obtenu plutôt que de la solution juridique retenue, nationalisation ou réquisition. Comme l'illustre l'exemple des masques en textile, il est possible de mobiliser le tissu productif national et d'obtenir des résultats intéressants sans réquisitionner ni nationaliser.

Je m'associe à la remarque du député Dharréville sur le courage avec lequel notre pays fait face à cette situation.

Dans l'ensemble, monsieur le président Vigier, nos concitoyens respectent très bien le confinement. Il est vrai que, parmi eux, certains prennent parfois des libertés coupables avec les consignes collectives. D'aucuns assurent que dans certains quartiers dits difficiles le confinement ne serait pas correctement respecté. Je peux attester que dans nombre de ces quartiers, ces consignes sont très sérieusement respectées. Je peux aussi attester que certains de nos concitoyens ont pensé qu'il était bel et bon de se confiner dans leur résidence secondaire – je ne suis pas sûr qu'ils aient ainsi permis de contenir la circulation du virus là où il le fallait.

En tout état de cause, ces consignes de confinement doivent être respectées. Le ministre des solidarités et de la santé a eu l'occasion de dire aujourd'hui au Sénat qu'il n'y avait pas de vacances pour le virus et qu'il n'y avait donc pas de vacances pour le confinement. Nous l'affirmons clairement, il n'est pas possible de changer de lieu de confinement, fût-ce pour trouver le temps moins long. L'objectif, c'est de limiter la circulation du virus ; c'est à ce prix que nous sauverons notre système hospitalier de l'embolie et de la saturation, donc, un nombre considérable de vies, notamment celles de nos concitoyens les plus fragiles. Il faut très sérieusement respecter, partout, les règles relatives au confinement.

Le député Dharréville a évoqué l'après crise, les débats sur les modes de production et sur l'organisation de la société. Nous en parlerons le moment venu et je suis certain que ces discussions seront intenses, vigoureuses, et c'est tant mieux. Je ne crois pas néanmoins que le moment soit venu, mais je suis persuadé que vous ferez vivre ce débat.

Enfin, monsieur le président Le Gendre, nous avons essayé, avec le secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse Gabriel Attal, de mobiliser le secteur associatif et la société civile autour des missions d'aide alimentaire, de garde exceptionnelle d'enfants des personnels soignants, de la mise en place de liens téléphoniques avec notamment les personnes les plus fragiles et isolées, et de la solidarité de proximité afin de pouvoir aller chercher les médicaments ou les produits alimentaires et de faire preuve ainsi d'une plus grande efficacité.

Vous avez cité la plateforme jeveuxaider.gouv.fr que l'on peut trouver sur le site du Gouvernement. L'élan des Français est admirable puisque 230 000 personnes y sont inscrites, ce qui constitue évidemment une façon d'aider nos concitoyens et de s'engager éminemment respectable et utile.

Le ministre dira un mot de la réserve sanitaire, qui repose sur une autre logique mais qui témoigne d'un engagement civique aussi exceptionnel.

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