Vous m'avez remercié, selon l'usage, de me livrer à cette audition, mais il est normal que le ministre de l'Intérieur se présente devant le Parlement, en particulier devant l'Assemblée nationale, pour rendre compte de son action et répondre aux questions qui lui sont adressées.
Nous vivons une période particulièrement grave : nous affrontons un ennemi, le Covid-19, qui peut tous nous frapper, met à l'épreuve notre système de santé, éprouve notre cohésion nationale et interroge certaines de nos valeurs fondamentales, comme la liberté – le confinement est en effet une atteinte à la liberté, dont nous devons rendre compte. Il est donc parfaitement légitime que vous m'interrogiez sur ces points.
Depuis le début de l'épidémie, le Gouvernement a pris des décisions fortes, guidé par l'avis des médecins et des experts. Toutes ont visé un unique objectif : préserver la santé des Français et le système de soins. Nous devions tout faire pour limiter au maximum la propagation du virus : c'est le sens des gestes barrières, de la distanciation sociale et évidemment du confinement décidé par le Président de la République le 16 mars et entré en vigueur le 17 mars. Le confinement est en effet notre meilleure arme contre le virus, et, en tant que ministre de l'Intérieur, l'une de mes priorités est de le faire respecter, aux côtés de M. Laurent Nunez et grâce à l'engagement de l'ensemble du ministère. Nous le devons aux Français, à leur sécurité sanitaire et à tous les soignants, qui accomplissent quotidiennement un travail exceptionnel – et je sais combien les parlementaires sont à leurs côtés.
Le ministère de l'Intérieur dans son ensemble a pour mission de faire face à la crise épidémique. Je pense d'abord aux préfets, points de repère en période de crise, à la manoeuvre depuis plusieurs semaines aux côtés des agences régionales de santé (ARS), secondés par les personnels des préfectures, tout aussi mobilisés. Je pense aux sapeurs-pompiers et à la communauté de la sécurité civile, qui jouent un rôle déterminant d'aide au système de soins. Je pense à ceux qui font fonctionner quotidiennement la cellule interministérielle de crise (CIC) de la place Beauvau, ainsi qu'à tous ceux qui ont été mobilisés pour élaborer les lois, ordonnances et décrets rendus nécessaires par la situation épidémique. Je pense enfin aux policiers et aux gendarmes qui arpentent les rues, interviennent et effectuent des contrôles partout, sans exception, pour faire respecter avec pédagogie et discernement les mesures prises en réponse à l'épidémie. Leur mission est exigeante, et nous devons faire bloc avec eux ! Elle est d'autant plus exigeante que leur travail ne se limite pas aux tâches exceptionnelles et nouvelles qui résultent de l'épidémie du Covid-19, leur activité sur le front de la lutte contre la délinquance et contre le terrorisme se poursuivant – le drame de Romans-sur-Isère nous le rappelle.
Avant de répondre à vos questions, je dresserai un premier bilan de la période que nous traversons et présenterai la réponse que l'État a construite face à l'urgence sanitaire.
Coordonnée, ferme, cette réponse suit les orientations fixées par le Président de la République – à la lumière des recommandations du conseil scientifique placé auprès de lui –, en particulier lors des conseils de défense et de sécurité nationale. Sous l'autorité unique du Premier ministre, cette réponse repose sur trois piliers : le centre de crise sanitaire du ministère des Solidarités et de la Santé, chargé de la réponse sanitaire à la crise ; le centre de crise du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé notamment des Français se trouvant à l'étranger et souhaitant revenir sur le territoire national ; au sein du ministère de l'Intérieur, la CIC, au service exclusif des décisions prises par le Premier ministre, qui rassemble, lors de ses réunions quotidiennes, des représentants de tous les ministères concernés par la crise.
Les préfets, quant à eux, sont chargés de coordonner notre action dans les départements. Tous les soirs, depuis le 17 mars, je tiens avec eux une réunion durant laquelle je leur présente les décisions prises et je recueille leurs observations. Ces échanges permettent de mieux appréhender les problèmes qui se posent sur le territoire et de nous assurer que les mesures que nous prenons sont applicables, appliquées et, si nécessaire, corrigées – nous devons en effet tenir compte de circonstances particulières, au plus près de nos concitoyens. Je tiens à souligner l'engagement remarquable des préfets et de toux ceux qui travaillent à leurs côtés et participent à la CIC sans économiser leurs efforts.
Soixante-douze agents issus de dix ministères arment la CIC. Celle-ci est composée de différentes entités – situation, anticipation, logistique, communication et décision –, conformément à l'organisation classique d'une cellule de crise. S'y ajoute une cellule thématique interministérielle, créée dès la première semaine de confinement, destinée à trancher les questions complexes touchant plusieurs ministères. Sous l'autorité du Premier ministre, la CIC mène donc un véritable travail interministériel. Ce système a fait ses preuves, notamment lors des attentats de 2015 et des intempéries violentes qui ont affecté Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Il permet une coordination efficace des services de l'État et une réponse rapide aux enjeux rencontrés. La CIC déploie également des outils qui nous aident à mieux aborder la crise sanitaire, dont une plateforme dédiée aux acteurs étatiques concernés.
Je veille tout particulièrement à ce que le contrôle parlementaire de l'état d'urgence sanitaire s'opère dans de bonnes conditions. Une plateforme vient ainsi d'être créée, sous l'égide du Premier ministre, pour vous permettre d'accéder à l'ensemble des arrêtés préfectoraux pris sur le fondement de l'état d'urgence sanitaire. Elle est mise à jour chaque semaine, afin que vous puissiez exercer votre rôle de contrôle et solliciter, de notre part, tous les éléments nécessaires à cette fin.
J'en viens à la façon dont le ministère s'emploie à faire respecter le confinement. Des consignes ont été données aux Français et répétées autour d'un mot d'ordre clair : restez chez vous. Quelques exceptions strictes ont été prévues et expliquées à nos concitoyens : les personnes qui souhaitent sortir de leur domicile ne peuvent le faire qu'avec parcimonie, munies d'une attestation dûment remplie. Les quelque 100 000 policiers et gendarmes déployés sur l'ensemble du territoire pour faire respecter cette règle mènent une action remarquable : 9,5 millions de contrôles et plus de 568 000 verbalisations ont été effectués depuis le début du confinement. Nous avons aussi démontré notre capacité à nous projeter sur le terrain en prévision de risques de mouvements de population. Nous craignions en effet que le début des vacances scolaires de la zone C occasionne des départs vers des lieux de villégiature. Depuis vendredi matin, nous avons déployé 160 000 policiers et gendarmes pour procéder à des contrôles renforcés, au moment des départs comme au cours des trajets et sur les sites d'arrivée. De fait, une infime minorité de Français sont partis à l'occasion des vacances.
Je n'évoquerai pas les sanctions pour non-respect du confinement – vous les connaissez puisque vous les avez votées il y a quelques jours. Elles ont bien évidemment leur importance. Je tiens toutefois à souligner que les contrôles se déroulent partout, sans aucune exception : l'intégralité de la France en fait l'objet depuis le début du confinement, des quartiers huppés aux banlieues, des quartiers pavillonnaires aux zones rurales. J'ai conscience qu'il est certainement plus difficile de respecter le confinement quand on partage, à plusieurs, un appartement dans une tour d'un quartier bétonné, que quand on vit dans un pavillon avec jardin dans une charmante commune des Alpes-de-Haute-Provence ou du Morbihan. Pour autant, il nous faut veiller à ce que les mesures induites par l'état d'urgence sanitaire soient respectées partout. Dans ce cadre, le Premier ministre, le ministre chargé de la santé et, localement, les préfets, ont été habilités à prendre des mesures utiles pour faire face à l'épidémie, et c'est dans ce cadre que nous intervenons.
Vous m'interrogerez certainement sur la protection des professionnels qui continuent d'exercer leur activité – des forces de l'ordre en particulier. Je ne suis ni médecin ni membre d'une autorité scientifique : dès lors, notre action dans ce domaine a correspondu à la stricte application des doctrines arrêtées par les autorités sanitaires, j'y reviendrai si vous le souhaitez. C'est un principe que le Gouvernement et moi-même appliquons depuis le début, et je continuerai à le faire.
Telle est l'organisation exceptionnelle que nous avons mise sur pied. Pour finir, je tiens à saluer l'engagement transversal et interministériel de l'ensemble des membres du Gouvernement et de nos administrations, du national jusqu'au local, pour faire en sorte que le combat que nous menons, dont nous savons qu'il sera long et difficile, permette de préserver au maximum la sécurité, au sens le plus large possible, de nos concitoyens.