Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 9 avril 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

S'agissant du confinement et de l'approche qui en est faite par les différents acteurs du ministère de l'Intérieur – par exemple les préfets pour les fermetures de marchés, mais également les forces de sécurité intérieure lorsqu'elles procèdent au contrôle des attestations et s'assurent du respect du confinement –, la règle est le discernement. Celui-ci est d'autant plus nécessaire que les moyens de contrôle ont été instaurés partout en moins de vingt-quatre heures. Cette rapidité était essentielle pour que les Français comprennent ce que le confinement impliquait et qu'il soit massivement respecté, comme cela a été le cas.

Faire preuve de discernement est un exercice plus difficile que d'appliquer une règle simple et écrite : il ne suffit pas à nos policiers et gendarmes de cocher des cases ; ce n'est pas ce que nous attendons d'eux. Des règles strictes ont été posées : restez chez vous, ne sortez pas. Néanmoins, l'attestation dérogatoire de déplacement permet le transport pendulaire domicile-travail – elle a d'ailleurs été simplifiée pour ce motif –, mais également de se rendre chez le médecin ou de faire ses courses. Nous avons invité les forces de sécurité à appliquer cette règle dans le respect des libertés fondamentales de chacun et du droit, dont vous et moi sommes les garants de l'application. Il fallait donc construire le confinement dans un rapport de confiance.

J'ai eu très peu de retours d'anomalies graves concernant des verbalisations. Après vérification de celles alléguées sur les réseaux sociaux, il se trouve que souvent, elles n'ont pas été confirmées. Il n'empêche que l'exercice a pu amener à des erreurs d'interprétation, comme la fouille d'un sac de courses, ce qui ne correspond pas à une bonne application de la doctrine que nous avons fixée. Chaque jour, chaque heure, la doctrine de gestion a toujours été appliquée, sous l'autorité du directeur général de la police nationale (DGPN), du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) et du préfet de police, avec ce seul souci du discernement et de l'intelligence dans le contact. Globalement, peu d'incidents nous ont été remontés par la plateforme de saisie de l'inspection générale de la police nationale. Par ailleurs, nous avons veillé à ce que le délai de recours contre les contraventions, parfaitement légitime, soit porté de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours

Pour la fermeture des marchés, nous partons là aussi d'une règle simple : le décret édicté par le Premier ministre prévoit l'interdiction des marchés. Mais nous connaissons l'importance à la fois sociale et économique des marchés : ils permettent parfois de faire ses courses pour moins cher qu'à l'épicerie du coin ou constituent le seul lieu d'approvisionnement alimentaire accessible dans la commune ou le village où l'on vit sans avoir à prendre sa voiture pour aller au centre-bourg. Bien des marchés sont également nécessaires car les ventes directes des exploitants sont essentielles dans l'organisation agricole du territoire, il importe de ne pas l'oublier. C'est pourquoi nous avons adopté une doctrine spécifique s'agissant des marchés : si la règle est la fermeture, les préfets ont la possibilité, en lien avec les maires, d'y déroger par arrêté, au cas par cas ; c'est la consigne constante que je donne. Dans ce cas, et afin que les gestes barrières puissent être respectés sur les marchés, leur organisation spatiale a été soumise aux services du ministère des Solidarités et de la Santé.

S'agissant des équipements de protection des policiers et des gendarmes, nous avons tout d'abord insisté sur les gestes barrières et les mesures de distanciation sociale : il est important que nos forces et nos représentants – les préfets et toute l'administration territoriale de l'État – les respectent, non seulement parce qu'il s'agit de la meilleure des préventions pour eux, mais également car ils doivent être exemplaires vis-à-vis de nos concitoyens. Cela a eu des effets lorsque le virus ne circulait pas encore activement sur le territoire.

La doctrine a évolué avec celle de la circulation du virus sur le territoire national : dès le mois de mars, dans le strict respect de la doctrine gouvernementale sur l'utilisation du masque mais en prenant en considération la dimension opérationnelle du ministère, j'ai veillé à ce que des kits de protection soient disponibles dans tous les véhicules de patrouille et d'intervention ainsi que dans les lieux chargés de l'accueil du public – commissariats, brigades de gendarmerie et guichets de préfectures. Il a été précisé que les masques devaient être portés en cas de contact avec une personne présentant un ou plusieurs symptômes du Covid-19, ou un risque important d'être infecté. Cette doctrine a été présentée par le secrétaire général du ministère au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail exceptionnel du 9 mars. Elle a ensuite été précisée le 13 mars par une instruction du DGPN, et les 16 et 27 mars par des consignes du DGGN Pour répondre aux interrogations qui résultaient de la progression de la diffusion du virus, j'ai souhaité qu'une réunion se tienne le 23 mars avec les organisations syndicales de la police nationale, la gendarmerie nationale et le directeur général de la santé, le professeur Salomon.

En ce qui concerne la dotation en équipements de protection, les stocks disponibles ont été répartis entre les départements, en application de la doctrine gouvernementale. J'ai ainsi fait procéder à des livraisons successives de masques pour la police nationale, la gendarmerie et les préfectures. Entre le 14 et le 23 mars, 810 000 masques, issus du stock ministériel dont nous disposions, ont été distribués. Le 26 mars, 300 000 masques supplémentaires ont été répartis entre la police nationale, la préfecture de police et la gendarmerie nationale.

Par ailleurs, notre service des achats et notre filière logistique ont été mobilisés sans relâche pour acquérir des équipements individuels de protection, toujours dans le strict respect de la doctrine et des règles définies au niveau national, notamment s'agissant de la possibilité de procéder à des importations. Ainsi, les 3 et 4 avril, 2,5 millions de masques en provenance de Chine ont été réceptionnés. Leur livraison est en cours, ventilée comme suit : près d'1,4 million de masques sont envoyés à la police nationale, un peu plus d'1 million à la gendarmerie, et 87 000 sont destinés aux préfectures. Ainsi, pas moins de 3,6 millions de masques ont été livrés aux services du ministère depuis le début de la crise, toujours, je le répète, dans le strict respect des règles d'allocations et d'une doctrine d'usage arrêtée en lien avec les autorités sanitaires.

Je suis un peu long, mais c'est une question qui reviendra régulièrement et il me semble utile de répondre de façon précise pour permettre ensuite d'autres questions. Nous disposions d'un stock d'1,46 million de masques de type FFP2, réservés au personnel soignant et aux intervenants dans les hôpitaux : un peu plus de 200 000 se trouvaient dans les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur, 100 000 au sein de l'établissement central logistique de la police, et un peu moins d'1,2 million dans les régions de gendarmerie. J'ai demandé à ce que la quasi-totalité de ces masques – sous réserve de conserver un stock pour certaines interventions spécifiques non liées au Covid-19 – soient remis aux ARS à partir du 26 mars.

Parallèlement, dès la mi-mars, j'ai engagé une démarche de prospection pour identifier les dispositifs de protection alternatifs, en particulier les équipements de protection des yeux, autre organe vecteur de propagation du virus. Cela me semblait d'autant plus nécessaire que plusieurs incidents graves impliquaient des personnes crachant au visage des policiers ou gendarmes qui les contrôlaient. Nous avons donc également développé notre politique d'acquisition de dispositifs de protection complémentaires : à ce jour, 61 000 paires de lunettes de protection ont été livrées et 81 000 paires supplémentaires ont été commandées ; en complément de celles fabriquées localement dans les Fab Lab et testées dans certaines unités, 51 000 visières ont en outre été commandées ; 22 000 des 32 000 masques textiles commandés sont déjà en cours de livraison, et des plaques de plexiglas sont désormais installées dans les nombreux sites d'accueil du public qui en étaient dépourvus.

D'ici au 26 avril, 14 millions de masques supplémentaires devraient être livrés –j'emploie volontairement le conditionnel car chacun sait l'incertitude qui pèse sur le pont aérien et les incidents que nous avons pu connaître.

Au total, ce sont donc 40 millions de masques qui ont été commandés par le ministère de l'Intérieur à l'heure actuelle.

La reconnaissance professionnelle des agents ayant contracté le virus est importante. Sur les 300 000 fonctionnaires du ministère, 1 400 sont à ce jour reconnus affectés du Covid-19, soit moins de 0,5 %, taux trop élevé pour tous ceux qui ont été ou sont encore en souffrance. Je pense aussi à ceux qui sont décédés : toutes les administrations de notre ministère resteront marquées par les deuils de fonctionnaires, qui n'étaient d'ailleurs pas nécessairement au contact du public.

Il me paraît évident que, même en respectant strictement les gestes barrières et en bénéficiant des matériels de protection que je viens d'évoquer, l'exposition accrue au risque est un facteur devant être pris en considération. Par conséquent, je souhaite que le Covid-19 soit inscrit au tableau des maladies professionnelles et que le lien entre l'affection et leur service soit automatiquement présumé pour les agents, dès lors qu'il est établi qu'ils ont assuré une mission au contact du public durant l'état d'urgence sanitaire. Deux syndicats, Alliance police nationale et l'UNSA, m'ont déjà alerté sur cette préoccupation globale de nos forces de sécurité intérieure et de nos personnels. Le 7 avril, j'ai donc saisi formellement Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, chargé des maladies professionnelles, et Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, pour que cette reconnaissance se traduise au plus vite.

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