Je vais tenter d'être exhaustif mais je vous invite à me signaler d'éventuels oublis afin que je puisse vous apporter une réponse écrite plus précise.
Mme la présidente de la commission des Lois, évoquant des surenchères locales, m'a interrogé sur le risque que coexistent, sur le territoire, des approches trop différentes d'un enjeu national, notamment quant au respect du confinement ; ce risque existe effectivement.
Depuis le début de la crise, j'ai donné pour consigne aux préfets de coconstruire les réponses avec les élus locaux, au plus près du territoire. Le meilleur exemple concerne les initiatives de couvre-feux, que j'ai systématiquement demandé aux préfets d'encadrer juridiquement – la compétence des maires à prendre des arrêtés dans ce domaine faisant d'ailleurs débat. Je n'ai posé que deux règles : un dialogue constant entre préfets et municipalités, au travers de leurs représentants ; en cas de couvre-feu, une couverture de la totalité du territoire communal, et non de certains quartiers uniquement, afin d'éviter la stigmatisation de ces derniers. Ces règles ont bien été appliquées. Il m'est arrivé de demander aux préfets de coordonner ces actions sur leur territoire. Dans les Alpes-Maritimes, plusieurs municipalités avaient ainsi pris de telles initiatives mais la présence, au coeur de la zone, de communes non concernées était incohérente ; le préfet a donc décidé de prendre un arrêté départemental.
Certaines initiatives peuvent apparaître comme contestables sur le plan juridique parce qu'elles mettent en cause les libertés fondamentales. Certaines risqueraient même de laisser penser – même si je sais que ce n'est pas l'intention de leurs auteurs – que l'on pourrait sortir du confinement grâce à des mesures comme le port obligatoire du masque, ce qui n'est pas le cas.
Le fondement juridique des arrêtés municipaux rendant le port du masque obligatoire s'avère plus qu'incertain – c'est un euphémisme. J'ai demandé aux préfets d'indiquer aux maires ayant pris un tel arrêté – ils n'étaient que deux hier soir – qu'il n'est pas cohérent avec l'exigence qu'implique le confinement, dans la mesure où il laisse entendre que le port du masque permettrait de s'affranchir des règles du confinement et de sortir de chez soi. Je leur ai également demandé de souligner que les actes de ce type mettent en cause l'égalité territoriale, car certaines communes disposent des moyens nécessaires pour équiper l'ensemble de leur population en masques, quand d'autres ne les ont pas. Cela peut en outre conduire à interdire l'accès à une commune aux habitants de la commune voisine, ce qui pose problème. Enfin, l'intérêt du port du masque n'est pas médicalement démontré – vous connaissez les débats sur ce sujet, mais, n'étant pas médecin, je ne me prononcerai pas. J'ai donc demandé aux préfets de prendre langue avec ces maires afin qu'ils retirent leurs arrêtés pendant toute la durée du confinement. En fonction de la doctrine nationale qui sera mise en oeuvre pour la sortie du confinement, le moment venu, nous travaillerons avec eux sur les adaptations locales qui s'avéreraient nécessaires.
Ce que je souhaite, c'est que le confinement soir renforcé partout où un signe de relâchement apparaît. Dans ces endroits, il est important qu'avec l'équipe municipale en place, nous trouvions le moyen d'affirmer la volonté des autorités publiques – ministère de l'Intérieur et collectivités locales à égalité – pour durcir les mesures. Évitons, en revanche, les arrêtés posant des principes pour le moins contestables.
D'un autre côté, il faut accepter l'idée que les gens puissent sortir de chez eux. Nous sommes tombés dans un travers conduisant à considérer toute personne sortie de son domicile comme suspecte d'enfreindre la règle. Or ce n'est pas le cas : des dérogations sont possibles, et nous les croyons nécessaires, y compris pour s'oxygéner. Il faut simplement organiser ces possibilités, et c'est le sens du travail que nous menons ensemble sur le sujet.
J'en viens à la lutte contre le terrorisme, évoquée par Mme la présidente Braun-Pivet, M. Éric Ciotti et M. Olivier Becht. Personne n'a baissé la garde dans la prévention et la lutte contre le terrorisme. Ces sujets sont évidemment prioritaires pour nous et nécessitent que nous restions totalement mobilisés. Les services du ministère de l'intérieur continuent d'y travailler. J'ai même demandé que soit pris en compte le risque majeur de sur-accident dans l'organisation des services directement mobilisables sur des sujets d'exception comme la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), la sous-direction antiterroriste (SDAT), l'unité recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) ou encore le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). J'ai demandé à chacun de ces services de s'organiser – avec des équipes alternées, qui ne se croisent pas – de telle sorte que des personnels soient mobilisables en permanence.
Samedi après-midi, à Romans-sur-Isère, avant même que le procureur national antiterroriste ne décide de prendre la main sur l'affaire, la SDAT était prête à envoyer sur place trente enquêteurs, en fonction des instructions du procureur. C'est un sujet particulièrement important pour nous, sur lequel nous restons particulièrement mobilisés afin de pouvoir répondre à l'ensemble des sollicitations et rester armés en permanence.
L'ensemble des acteurs de la lutte antiterroriste demeurent à un haut niveau de mobilisation. Je vous rappelle que soixante et un attentats ont été déjoués depuis 2013 et que dix-neuf ont échoué. Tous nos dispositifs continuent de fonctionner. C'est le cas en particulier des groupes d'évaluation de la radicalisation (GED), dont j'ai fait vérifier qu'ils demeuraient actifs dans chaque département. En effet, même si je sais que les préfets sont mobilisés sur d'autres sujets, nous ne pouvons pas baisser la garde.
La question de M. Ciotti est générale mais vise plus particulièrement les sortants de prison. La garde des Sceaux a corrigé certains éléments inexacts parus dans la presse hier. Ce que je peux vous garantir, c'est qu'aucun détenu pour des faits de terrorisme n'a été libéré dans le cadre de l'ordonnance que Mme Belloubet vous a présentée hier. À la date du 3 avril 2020, se trouvaient en prison 853 individus incarcérés pour des infractions de droit commun mais aussi suivis en raison de leur radicalisation. Nous avons instauré un dispositif spécifique, réunissant l'ensemble de nos services, pour accompagner la sortie de chacun d'entre eux –quel qu'en soit le cadre, y compris la fin de peine. L'objectif est de favoriser la communication entre services pour que l'ensemble de ces personnes soient contrôlées et accompagnées – le terme n'est pas juridique, mais chacun le comprendra – au moment de leur sortie, quand elles doivent sortir. Il ne m'appartient pas de me prononcer sur les sorties. Toutefois, les prévisions de libération des terroristes islamistes, notamment, sont connues, de même que celles des personnes radicalisées : les services du ministère en sont informés et nous les accompagnons systématiquement. Les GED, qui se réunissent chaque jeudi, y contribuent. Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance restent adaptées et nos services continuent d'en produire. La présidente de la commission des Lois a d'ailleurs évoqué le fait que ces sujets vous étaient rapportés.
Nous veillons donc à rester totalement mobilisés pour ne pas baisser la garde face au risque terroriste, qui, nous le savons, reste présent.
Plus globalement, la question de M. Ciotti portait aussi sur les risques anticipés d'un confinement long, en matière de sécurité et d'ordre public. Il existe plusieurs risques.
D'abord, à court terme, la perte d'adhésion progressive de la population aux mesures de confinement est une difficulté dont nous devons avoir conscience. Il existe aussi, pendant cette période, un risque d'augmentation des violences urbaines, dans les quartiers en particulier. Ce n'est pas avéré à ce jour : même si de telles violences peuvent être observées, elles ne se situent pas à un niveau anormal – le problème étant qu'en réalité, le premier acte devrait déjà être considéré comme anormal… Quoi qu'il en soit, le confinement n'a pas provoqué d'augmentation des violences dans les quartiers. Cela constitue plutôt une bonne nouvelle car on observe habituellement une augmentation des violences urbaines en période de vacances scolaires, les jeunes étant désoeuvrés. Ce n'est pas le cas en ce moment mais nous sommes particulièrement vigilants sur ce point.
Le confinement pourrait avoir d'autres types de conséquences. Je m'inquiète, pour ma part, de la progression de certaines formes de délinquance. Certaines existent déjà mais s'aggravent, comme les violences intrafamiliales ; d'autres se développent au gré des opportunités, comme les escroqueries sur internet. Je crains aussi le risque d'un renforcement du communautarisme, à l'heure où la société doute, phénomène qui a pu être observé dans d'autres pays : le confinement peut provoquer un repli sur soi et un repli communautaire ; c'est un sujet de préoccupation que nous suivons et analysons dans la perspective de la sortie du confinement, le moment venu. Les pratiques de plusieurs religions impliquent par ailleurs l'organisation de rassemblements, pour Pâques par exemple, ou bien à l'occasion de la rupture du jeûne du Ramadan ; ces rassemblements pourraient eux aussi entrer en confrontation avec les règles du confinement. Sur ce sujet, nous restons vigilants et nous préparons à répondre. Les réseaux d'ultra-droite et la mouvance d'ultra-gauche restent quant à eux très actifs sur les réseaux sociaux et appellent à la préparation d'actes qu'ils voudraient commettre lors de la sortie de la période de confinement ou de la crise. Sur ces sujets – que je n'aborderai pas tous, afin de ne pas être trop long –, nous devons veiller à rester particulièrement mobilisés et vigilants.
En réponse à la question précise de M. Ciotti sur ce sujet, j'indiquerai que je n'ai pas souhaité fermer les CRA, ce que certains nous reprocheront sans doute. Les CRA hébergent en effet des sortants de prison et des personnes connues pour avoir provoqué des troubles manifestes à l'ordre public, et nous continuons à procéder, dans certains cas – même si c'est plus difficile actuellement –, à des expulsions ou à des exécutions d'obligation de quitter le territoire français. Actuellement, 184 personnes se trouvent dans des CRA. Le Conseil d'État, qui a été saisi en vue de leur fermeture, a considéré que les mesures que nous y avions mises en oeuvre permettaient de considérer que la santé des personnes retenues n'était pas menacée. Si certains centres ont été fermés parce que leur taux d'occupation était inférieur à 10 %, ce n'est pas le cas de la majorité d'entre eux. Leur activité se poursuit. Hier, quatorze personnes, notamment des étrangers en situation irrégulière qui sortaient de prison, ont été placées dans ces centres.
Je partage l'avis de Marielle de Sarnez quant à l'aspect essentiel de la dimension européenne. Pour avoir participé à quelques réunions du conseil Justice et Affaires intérieures (JAI), je peux témoigner du fait que la prise de conscience du risque a été assez tardive. Lors d'une de ces réunions, à Bruxelles, alors que nous observions déjà les gestes de distanciation sociale en France, j'ai été surpris du comportement de certains de mes interlocuteurs, qui n'avaient pas la même conscience du risque. Lorsque nous avons abordé le sujet, entre ministres de l'Intérieur, en lien avec la Commission européenne, et que nous avons demandé des mesures communes partagées, nous avons compris qu'il ne s'agissait alors pas d'un sujet de préoccupation.
Puis la situation a évolué, comme on le sait, et chaque pays européen en a pris pleinement conscience, mais dans une désorganisation totale. Chacun a pris des initiatives que la Commission européenne n'a pas été en capacité de coordonner ou de réguler. Du côté français, nous avons toujours veillé – qu'il s'agisse successivement de l'Italie, de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Belgique puis du cas particulier du Royaume-Uni – à ce que les décisions soient systématiquement coordonnées, anticipées de vingt-quatre heures et mises en oeuvre en commun, avec des mesures de réciprocité visant à protéger les travailleurs transfrontaliers.
Je manque d'éléments de réponse quant aux perspectives de moyen terme, sur lesquelles vous m'avez aussi interrogé. Si la stabilisation de l'épidémie était parfaitement homogène dans l'espace européen, les restrictions actuelles aux frontières intérieures pourraient être levées. À l'inverse, si des foyers pandémiques subsistaient après la maîtrise du Covid-19 en France, nous pourrions privilégier des contrôles à nos frontières nationales ou bien l'établissement de contrôles par tous nos partenaires européens, avec ceux des États membres dans lesquels le virus reste en circulation active.
M. Habib a évoqué plusieurs sujets, dont la polémique au sujet du préfet de police de Paris. J'aimerais être clair à ce sujet si M. Habib considère qu'il s'agit d'une question prioritaire dans le cadre de cette audition. Le préfet de police a tenu des propos inexacts, maladroits et faux, qui ont pu heurter profondément ceux qui les ont entendus. Il a regretté ses propos et confirmé qu'ils étaient inexacts. Il s'est excusé. Ce que j'attends du préfet de police, c'est qu'il soit totalement engagé au service des priorités que je lui donne, parmi lesquelles figurent, entre autres mais pas seulement, le respect du confinement. Comme nous avons pu le constater ce week-end, il a fait en sorte que l'ensemble des effectifs de la préfecture de police soient mobilisés sur le terrain, et c'est ce que j'attends de lui.
À propos des masques, monsieur Habib, je crains que vous n'ayez pas bien entendu mon propos liminaire. Il est vrai qu'il existe un désaccord sur la doctrine. Certaines organisations syndicales ont demandé que l'ensemble des policiers soient équipés en permanence de masques. Or ce n'est pas la doctrine nationale qui a été arrêtée sous l'autorité du ministère des Solidarités et de la Santé, appliquée actuellement. Mais la demande avait été bien entendue, bien avant la date du 23 mars que vous évoquez : le 9 mars, la doctrine a été présentée aux différentes autorités du ministère et aux organisations syndicales. L'instruction du DGPN a été transmise le 13 mars, suivie le 16 mars par l'instruction du DGGN. Enfin, le 23 mars, une rencontre a été organisée avec le professeur Salomon pour expliquer la doctrine. Je vous confirme que ce dernier n'a pas convaincu les organisations syndicales, mais il m'appartient d'appliquer la doctrine nationale et non pas une doctrine ministérielle qui irait à son encontre ; je suis certain que vous en conviendrez avec moi.
Vous affirmez, Monsieur Habib, que le PS n'aurait jamais demandé le maintien des élections municipales. Le PS, je ne sais pas. En revanche, Olivier Faure a déclaré le 12 mars : « Il n'y a pas plus de raison d'avoir peur d'aller voter que d'aller prendre le métro ou le RER, ou que d'aller au travail. Il n'y a pas plus de promiscuité : on rentre en général seul dans l'isoloir ; c'est la même règle. » Je ne sais donc pas comment interpréter vos propos, mais il me semble que son premier secrétaire ne partageait pas votre avis quant au maintien des opérations de vote…
Enfin, M. Becht m'a posé une question plus générale sur les moyens de la police. Nous avons réorienté les priorités en fonction des réalités auxquelles nous devons faire face. L'organisation du ministère de la justice ayant évolué pour prendre en compte les difficultés de fonctionnement liées au Covid-19, le « petit judiciaire » est devenu moins prioritaire.
Le respect du confinement est un engagement total de nos forces de sécurité intérieure, de même que le respect de nos frontières dans ce cadre. Il en va de même pour l'ensemble des faits relevant de troubles de la voie publique. La mobilisation est aussi accrue sur les violences intrafamiliales dont peuvent être victimes des femmes et des enfants. Enfin, il n'est pas question que nous répondions que nous sommes mobilisés sur le confinement lorsque des faits graves de criminalité, de cambriolage, de menace ou de vol surviennent, ou lorsque notre pays fait l'objet de trouble à l'ordre public ou de menaces subversives. Ces sujets font évidemment partie de nos priorités.