Je vous remercie de me donner l'opportunité, après mon collègue Bernard Piquette, de vous présenter quelques éléments sur l'action de l'INERIS, plus particulièrement en matière d'appui à la gestion de crise.
La question de la coopération entre les établissements publics a déjà été évoquée. L'INERIS s'inscrit dans un large partenariat avec l'ensemble des établissements publics. Vous parliez de sols pollués, je ne peux que rappeler que l'INERIS a constitué un groupement d'intérêt public (GIP) avec le BRGM, appelé GEODERIS et spécialisé dans la gestion de l'après-mine. Historiquement, l'après-mine était axé sur les risques d'effondrement. De plus en plus, les problématiques de l'après-mine tournent autour des sites et sols pollués. Un bon exemple est l'ancienne mine d'or de Salsigne, dont on voit que les conséquences en matière de pollution des sols restent très importantes.
L'INERIS est également présent en matière de suivi de la qualité des milieux. Nous animons, avec le Laboratoire national d'essais (LNE) et l'Institut Mines Télécom Lille Douai, le laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air (LCSQA). Il a vocation à être le coordinateur technique du réseau de surveillance de la qualité de l'air qui est mis en oeuvre par les AASQA.
Nous animons aussi AQUAREF, avec nos collègues compétents dans le domaine de l'eau : le BRGM, mais aussi l'IFREMER, l'INRAE et le Laboratoire national d'essais. Il s'agit du laboratoire de référence pour la qualité des mesures dans le domaine de l'eau, notamment pour la mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau, avec des interactions au niveau européen.
Nous animons de plus le réseau européen NORMAN qui s'intéresse justement à toutes ces questions de substances émergentes que vous évoquiez.
Pour en revenir au sujet de la gestion de crise, l'INERIS, par rapport à d'autres établissements publics, a la particularité d'avoir une expertise large, qui va d'une activité très opérationnelle d'appui aux autorités publiques pendant la crise, à une activité de recherche qui, comme l'a rappelé Bernard Piquette, s'appuie sur des grandes installations expérimentales et de fortes capacités de modélisation.
Les deux événements que vous avez mentionnés en introduction, l'incendie de Notre-Dame de Paris et celui de l'usine Lubrizol à Rouen, nous ont fortement mobilisés cette année. L'appui que nous avons apporté aux autorités publiques s'est nourri de nos travaux de recherche et, réciproquement, le retour d'expérience que nous avons largement entamé nous conduit à renforcer, ou à proposer de renforcer, certains de nos axes d'étude et de recherche.
Cette illustration est la simulation du panache de l'incendie de Notre-Dame. Voilà un exemple qui relève de la recherche, aussi bien en ce qui concerne la modélisation du panache lui-même que l'identification du terme source, pour essayer de comprendre la dispersion du plomb dans l'atmosphère. Ce travail est évidemment très utile aux autorités publiques en matière d'appui à la gestion de crise.
Je vais vous présenter rapidement les questions auxquelles nous sommes amenés à répondre en appui à la gestion d'un accident, en m'appuyant autant que possible sur les exemples des incendies de Notre-Dame et de Lubrizol.
Je rappelle que nous avons une cellule d'appui aux situations d'urgence (CASU) qui est opérationnelle 24 heures sur 24 pour répondre aux demandes des autorités publiques. Comme l'a rappelé Bernard Piquette, la première chose qui nous est demandée, en urgence, dès le début d'un incendie, c'est de caractériser le terme source, sachant que le premier objectif est d'évaluer, au regard des dangers immédiats, les distances auxquelles il y a des risques de dommages irréversibles sur l'homme. Il s'agit là de protéger les équipes d'intervention, les salariés, et le cas échéant les populations avoisinantes.
Nous avons des modèles qui sont maintenant très opérationnels pour évaluer ces paramètres. Ils nous permettent de fournir une réponse en 30 minutes, en urgence donc, au déclenchement de la crise. Par contre, ces modèles se basent sur un certain nombre d'hypothèses simplificatrices, et pour l'essentiel, supposent une combustion de type « feu ventilé », ce qui conduit à une décomposition et recomposition des molécules en molécules simples, c'est-à-dire du dioxyde de carbone et de l'oxyde de carbone. Généralement, et c'est une chance, ce sont les composés toxiques aigus qui sont dimensionnants pour la première phase d'intervention.
Le deuxième objectif a été très largement évoqué ce matin : il consiste à évaluer les conséquences à plus long terme de l'incendie ou de l'accident, aussi bien d'ailleurs pour l'environnement que pour la santé.
J'insiste sur le fait que cette préoccupation n'est pas si récente. L'INERIS a développé son expertise dans ce domaine depuis maintenant plus d'une quinzaine d'années, à la suite notamment de l'incendie d'une usine de produits phytosanitaires qui a eu lieu à Béziers en 2005. Cela nous a conduits à élaborer un certain nombre de guides sur la gestion post-accidentelle. De fait, l'incendie de Lubrizol a été, je pense, le premier cas concret d'application, sur un incendie d'une telle ampleur, de la méthodologie ainsi développée depuis 15 ans.
La connaissance des substances émises pouvant avoir des effets à moyen ou long terme est beaucoup plus délicate que celle des substances ayant des effets à court terme. En l'état actuel des connaissances, nous pouvons dire sans risque d'erreur qu'il est très difficile, voire impossible, d'identifier ces substances par modélisation, surtout en quelques heures. Notamment pour Lubrizol, les substances en question peuvent être les produits d'origine, vaporisés ou aérosolisés, des produits de combustion, voire des produits issus des éléments de structure ou d'équipement lorsque les conditions d'incendie sont complexes et donc difficiles à modéliser, de type « feu sous-ventilé ». Je reviendrai le cas échéant sur la question de l'amiante, une illustration assez évidente des problèmes qui peuvent se poser. Aujourd'hui, c'est le retour d'expérience sur ce type d'incendie, acquis à la fois par l'analyse d'accidents similaires et par les essais réalisés dans nos grandes installations expérimentales, qui nous guide pour estimer les substances susceptibles d'avoir été émises.
Si je prends l'exemple de Notre-Dame, il était assez évident dès le début de l'incendie qu'une problématique plomb allait se poser, mais nous étions tout-à-fait incapables dans les premières heures de l'incendie d'estimer la quantité de plomb qui avait pu être émise, et encore moins la localisation de ces émissions.
C'est pourquoi, en l'état actuel des connaissances, il est absolument indispensable d'organiser très rapidement des prélèvements dans l'environnement pour caractériser les substances émises et entamer ainsi l'évaluation des risques.
La première chose que nous faisons dans les premières heures de l'incendie, c'est simuler le panache qu'il génère, afin notamment de savoir où effectuer ces premiers prélèvements. Nous sommes aujourd'hui capables en quelques heures de produire un panache à courte distance – de l'ordre de 10 km. Il nous faut un à deux jours pour un panache à plus longue distance – plusieurs centaines de kilomètres –, sous réserve d'avoir une bonne connaissance du terme source que rappelait Bernard Piquette.