Merci de donner à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris l'occasion de s'exprimer ici. Cette brigade est commandée par le général Jean-Marie Gontier, qui était le commandant des opérations de secours lors de l'incendie de Notre-Dame.
Je répondrai aux questions qui nous ont été transmises pour préparer les débats. Je parle au titre des pompiers de Paris, je n'ai pas vocation à parler au titre de tous les pompiers de France, même si la plupart des pompiers travaillent de la même façon. Nous appliquons une même méthode de travail, une démarche générale des opérations, qui permet de transposer ailleurs en France ce que je vais dire, notamment sur les problématiques industrielles.
Dans les premières minutes, les premiers quarts d'heure – parfois cela peut être un peu plus long –, nous devons faire face à l'inconnu. On y répond par une approche méthodologique à trois pans.
Premier pan : le principe de précaution, principalement avec le port des équipements de protection individuelle (EPI). Ce sont les tenues de feu et les appareils respiratoires isolants, l'important étant de protéger les voies respiratoires.
Deuxième pan : la recherche du renseignement. D'abord, il nous faut prendre contact avec ceux qu'on appelle trivialement « les requérants », les personnels du site : ceux qui vont nous ouvrir les portes, ceux auprès de qui nous allons essayer d'obtenir un maximum de renseignements – « de quoi s'agit-il précisément ce jour-là ? ». Ils s'ajoutent aux renseignements dont nous disposons préalablement, j'allais dire en « temps de paix ». Lorsque les établissements sont classés Seveso, il existe un ensemble de plans. Une partie des connaissances est établie conjointement avec la DRIEE (Direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie d'Île-de-France), l'équivalent en région parisienne des DREAL. Ces renseignements sur la topographie précise des lieux et des installations nous sont utiles pour intervenir. Nous avons aussi besoin de connaître la nature des produits, afin de pouvoir répondre à la question : « Que doit-on mettre comme type d'extinction en face pour être efficace ? »
Le troisième pilier, c'est l'anticipation. C'est un planificateur qui vous parle : le premier mort à la guerre, c'est le plan. Les plans sont utiles, les plans de secours que nous établissons au titre des pouvoirs publics, les plans que met d'abord en place l'industriel au titre de sa responsabilité, qu'il soit public ou privé : le plan d'opération interne et le PPI (plan particulier d'intervention) en lien avec les pouvoirs publics.
Le plan ne répond pas à tout. Il nous faut faire face – notamment le chef des pompiers, mais probablement aussi les services publics avec lesquels nous travaillons, les médecins, les policiers, etc. – à tout ce qui n'est pas prévu dans un plan qui doit rester générique. Un plan exhaustif aurait 3 000 pages. Il nous faut faire la part des choses, trouver l'équilibre entre ce qui est prévu et ce qui est de l'ordre de l'acte réflexe, la part d'intelligence et de réflexion qu'il faut mettre en jeu avec tous les partenaires, ceux qui sont ici autour de cette table et d'autres. L'objectif est d'aboutir à la résolution du problème. L'enjeu est là : être capable d'anticiper sur cette période.
Tout se joue sur les premiers quarts d'heure. Pour faire le lien avec ce qui a été dit précédemment par nos collègues de l'INERIS, qui ont évoqué la Cellule d'appui aux situations d'urgence (CASU) avec qui nous travaillons quasiment au quotidien, nous échangeons du temps contre de la précision dans la définition du fameux terme source. Après un quart d'heure, nous avons peu d'informations. Au bout d'une demi-heure, si nous sommes capables de nous engager auprès des bidons, des citernes, des fûts qui sont en train de brûler, nous aurons peut-être de l'image à produire sur la taille de la brèche, sur la quantité de matière qui s'évapore ou qui est en train de brûler… Nous transmettons tout cela à l'INERIS. Le modèle va pouvoir être affiné. Ce qui nous intéresse, c'est le retour, qui nous permettra d'affiner la taille du périmètre de sécurité, en plus ou moins large – en général, on l'élargit. Voilà l'enjeu de l'anticipation : elle doit permettre de travailler en interservices et d'avoir un retour, notamment avec des services comme la CASU de l'INERIS.
Les autres questions concernent les moyens de réduire les risques sur la santé, celle des intervenants pompiers et de la population. J'ai évoqué le port des EPI. On part sur une situation qui est d'emblée, pour nous, maximale : la tenue de feu et les protections respiratoires sont obligatoires. Nous pouvons être amenés à baisser le niveau de protection en fonction de notre évaluation du danger. C'est rarement le cas. Nous allons porter longtemps ces tenues d'intervention, notamment tous les personnels qui vont s'engager au plus près du sinistre. Plus on s'éloigne du risque, dans le bon sens du vent, moins on aura à porter des effets de protection : les cadres qui vont travailler autour d'un véhicule de commandement vont pouvoir agir sans EPI. Mais c'est la première ligne de défense et elle s'applique à tous les intervenants.
Nous sommes là pour conseiller les autres services publics et le personnel de l'entreprise qui pourrait être amené à nous aider, à faire la même évaluation du risque.
Nous conseillons aussi la population sur les mesures de protection à prendre. Nous contribuons, avec d'autres, à cette évaluation dans la phase aiguë de l'intervention. Pendant une demi-heure, trois quarts d'heure, nous serons les seuls à pouvoir nous prononcer là-dessus.
La BSPP dispose d'un système de médecine intégré. Les médecins, militaires pour la plupart, font partie de la maison. Ils sont dans les services arrière et vont également être présents sur l'intervention. Ils vont converser avec les médecins, ceux de l'ANSES ou d'ailleurs, pour apprécier la situation et commencer à faire le lien avec les conseils aux populations. C'est l'enjeu majeur, très clairement, en plus d'éteindre le feu : que doit-on dire à la population ? Avec quel tempo ? Quels types de conseils ?
Nous ne nous engagerons pas sur la phase dite post-accidentelle, quand l'intensité du feu baisse, et que le feu aura été éteint le plus rapidement possible. Nous passons alors la main à d'autres services qui prendront la parole juste après moi. Par contre, nous contribuons, y compris par nos mesures, à l'évaluation du risque. Certes nos capacités pourraient s'améliorer ; le paysage est hétérogène en France. Nous pouvons apporter notre contribution sur les trois milieux : prélèvement dans l'air, prélèvement dans l'eau, un peu le prélèvement surfacique. Sur la place de Paris, nos prélèvements et analyses se font en lien avec le Laboratoire central de la Préfecture de police (LCPP), notre partenaire quotidien. Ils n'ont pas valeur de preuve, mais servent plutôt d'indice très empirique pour conseiller d'abord, sur le terrain, le commandant des opérations de secours, c'est-à-dire le chef pompier, mais également son autorité, maire ou préfet, plutôt le préfet, qui a valeur de directeur des opérations de secours. Il a la légitimité et l'autorité pour prendre les mesures vis-à-vis des populations, mais également de l'environnement.
Nous contribuons à alimenter les autorités en renseignements, avec toute la pondération qu'il faut apporter à des prélèvements qui sont faits dans des conditions très dégradées. Le BRGM a montré quelques appareils dont nous disposons également (PID par exemple). Ce qui marche très bien dans un laboratoire peut être moins performant lorsqu'on est sur le terrain, en pleine nuit, avec des mains dans les gants, avec la visière qui cache certaines choses. Il faut prendre en compte tout cela. Nous apprenons et nous nous formons à travailler dans ces conditions-là. Au fur et à mesure que le temps passe, nous sommes capables d'affiner les choses.
Pour terminer, je vais citer trois éléments. Une question concerne le suivi médico-sanitaire qui est mis en place, d'abord pour les primo-intervenants, notamment les pompiers. Il est en place, au moins pour les sapeurs-pompiers de Paris, et peu ou prou dans les autres services d'incendie et de secours de France. À la BSPP, la médecine est intégrée, il y a des médecins sur place au moment de l'intervention. Ces médecins appartiennent à notre corps, ils ne sont pas du SAMU. La prise en charge médico-sanitaire de nos premiers intervenants intervient quasiment dès le début de l'intervention, ainsi que pour nos collègues policiers, gendarmes et autres intervenants présents sur les lieux. Ce suivi médico-sanitaire dure. À Notre-Dame de Paris, tous ceux qui ont été identifiés comme étant susceptibles d'avoir été exposés au plomb ont bénéficié d'un suivi médico-sanitaire dans les heures qui ont suivi le retour dans les casernes, et il dure encore pour certains.
Ces choses-là sont en place, c'est dans notre culture militaire. Elles sont faciles à déployer, il suffit de donner des ordres, les gens s'exécutent avec adhésion. Ils y croient et adhèrent au principe.