Intervention de Mathieu Schuller

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mathieu Schuller, directeur de l'évaluation des risques à l'ANSES :

Mon intervention va se concentrer sur l'apport de l'expertise sanitaire dans une situation post-accidentelle, c'est-à-dire après qu'un accident s'est produit, issu ou non d'un événement industriel – Notre-Dame n'est pas un événement industriel – et suivi éventuellement d'une surexposition en termes de contaminants et de polluants, ce qui peut interpeller nos concitoyens. Je me situe donc en post-accidentel, après que les collègues de la protection civile aient tout mis en oeuvre pour que les principaux risques aigus, les fatalités les plus immédiates, aient été écartés ou minimisés.

Quelles sont les questions qui animent mes équipes lorsqu'on se mobilise en post-accidentel aux côtés des pouvoirs publics ? C'est très simple : il s'agit de ne pas se faire surprendre par deux choses.

La première, c'est la contamination, le terme source dont on a modélisé la dispersion. Est-ce qu'il comporte des contaminants chimiques susceptibles de générer, par leur accumulation, un effet aigu à court terme ? Ce serait par exemple le cas avec des contaminants très toxiques comme l'arsenic ou l'amiante.

La deuxième, ce sont les mécanismes d'accumulation, de rétention dans les sols, par les plantes, d'ingestion par les animaux, qui peuvent accélérer le compteur des expositions chroniques, c'est-à-dire celles qui vont générer des effets sanitaires parce qu'elles s'accumulent dans le temps.

Les expositions chroniques existent indépendamment de tout incident ou accident. La question que l'on doit traiter en post-accidentel est donc la suivante : est-ce que la sur-exposition ou la sur-contamination associée à l'incident ou l'accident va augmenter, croître plus rapidement, et donc générer des risques ?

Nos concitoyens entendent parler d'effet cocktail, d'effet dose-dépendant. Quelle partie de ces problématiques faut-il prendre en compte dans une situation d'urgence ? On ne les a pas toutes – il existe des travaux de recherche sur les co-expositions chimiques, j'y reviendrai.

Par contre, on peut déjà travailler sur les problématiques de multi-exposition. Sur Lubrizol, nous avons été saisis en même temps que nos collègues de l'INERIS. Ils ont travaillé sur les contaminants issus de l'incendie, sur les composants, avec toutes les problématiques très complexes – combustion complète ou incomplète, quantité de dioxine, etc. De notre côté, avec les outils de l'ANSES, nous avons regardé, quelle que soit la composition exacte de ce qui avait été émis, si certains composants pouvaient rapidement poser un problème le cas échéant.

Nous tenons à jour des « Études de l'Alimentation Totale » (EAT). Nous savons par exemple qu'une exposition au plomb, à des dioxines ou à des furanes, peut être problématique, toutes choses égales par ailleurs, pour une partie de nos concitoyens. Nous avons préconisé de rechercher en priorité ces substances potentiellement associées à l'incendie.

C'est une autre caractéristique de la gestion de crise ou post-accidentelle. Les moyens d'analyse et d'intervention, sont dimensionnés et délimités. Nous pouvons éventuellement les compléter par des moyens mobiles, mais il ne faut pas les saturer par des questions qui sont certes intéressantes sur un plan intellectuel ou scientifique, mais qui passent à côté des principaux enjeux. D'où cette interaction avec l'INERIS, en revisitant également nos travaux antérieurs. Les cartographies de l'INERIS sont très précieuses. Il faut toujours aller investiguer, rechercher des traces de ce qui a été dispersé, dans l'eau, les sols, les aliments, qui montreraient qu'il y a eu, ou pas, sur-contamination par l'incendie, et qui pourraient poser un problème de sécurité sanitaire à moyen terme.

À partir de ces analyses, et en utilisant à la fois les données air, eau, aliments, nous avons conseillé certains acteurs du post-accident sur l'évolution des dispositifs de surveillance. Indépendamment de tout accident, il existe des dispositifs de surveillance de la qualité de l'air et de l'eau – eaux de consommation humaine ou eaux souterraines. Ces capacités se sont mobilisées très fortement pendant l'accident. La question, c'est l'après : avant de revenir à une surveillance normale, quelle est la surveillance adaptée en situation post-accidentelle pour identifier les mécanismes d'accumulation que j'évoquais tout à l'heure et vérifier qu'ils ne sont pas à l'oeuvre ?

Exemple : certains polluants organiques comme les dioxines ou les HAP sont particulièrement lipophiles et ont donc une propension à se lier plutôt à des molécules organiques. Est-ce qu'ils sont susceptibles de s'accumuler dans les animaux, puis d'être restitués en causant une exposition humaine ?

Les conseils que nous avons prodigués à la Direction générale de l'alimentation (DGAL) et les avis que nous avons produits à cette occasion visaient à donner des cibles, à indiquer où porter l'attention. De la même manière, nous avons travaillé avec l'agence régionale de santé de Normandie, appuyés par les collègues du BRGM, sur les captages sensibles, pour dire quel dispositif de surveillance (plus dense, plus précis) devait être mis en place en Normandie pendant 6 à 12 mois, pour éviter une élévation anormale, ou susceptible d'inquiéter, de la contamination des eaux associée à l'incendie.

Nous essayons également de trouver des points d'accumulation. Dans les stations d'épuration, si l'on analyse les boues qui sont générées quelques jours après l'incendie, nous sommes certains de trouver des traces. Ce n'est pas pour autant que cette eau est distribuée au robinet.

Voilà notre champ d'action. Il tire parti de nos connaissances sur les phénomènes d'exposition courante associés à l'alimentation, à l'air, et aux autres facteurs d'exposition, pour orienter l'action publique après l'accident et vérifier qu'aucun mécanisme n'amènerait une part de la population à une exposition dépassant les seuils sanitaires.

Nous avons une autre question récurrente sur les multi-expositions. Avant comme après l'accident, nous sommes exposés par l'air que l'on respire, par les aliments que l'on consomme, par les choix que l'on fait en termes de nutrition, d'activité physique, etc. Les multi-expositions font l'objet de travaux qui sont du domaine de la recherche au niveau européen et au niveau français, aussi bien avec des collègues du monde académique et universitaire qu'avec d'autres agences. Ces travaux n'ont pas encore débouché sur des outils d'amélioration de la situation sanitaire ou des modalités d'évaluation du risque sanitaire.

Les co-expositions font aussi l'objet de travaux de recherche que nous menons au niveau européen. Nous soutenons d'ailleurs un projet avec d'autres agences sur la mise en place d'une plateforme, dans le cadre du programme Horizon Europe, pour investiguer ces problématiques de toxicologie du XXIe siècle.

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