Intervention de Boris Vallaud

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 10h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud, rapporteur :

Les règles de création des commissions d'enquête sont soumises aux dispositions spécifiques de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ainsi qu'au Règlement de notre assemblée.

Il appartient à la commission permanente compétente au fond, d'examiner les conditions de recevabilité de la résolution, donc de la création de la commission d'enquête.

À titre liminaire, je vous rappelle les dispositions de ce Règlement qui régissent l'examen en commission de cette recevabilité. Il s'agit d'un examen qui porte sur des points précis inscrits aux articles 137 à 139 de notre Règlement.

Aux termes de l'article 140, dans le cadre du droit de tirage auquel le groupe Socialistes et apparentés a recouru ici, notre commission doit vérifier si « les conditions requises pour la création de la commission sont réunies, sans se prononcer » – j'insiste – « sur son opportunité ». C'est à ce titre, également, qu'aucun amendement n'est recevable.

L'article 51, alinéa 2, de la Constitution, renvoie à la loi la détermination des règles d'organisation et de fonctionnement des commissions d'enquête et au Règlement les conditions de création des commissions d'enquête.

Une appréciation en opportunité de la création de la commission d'enquête que je vous présente ce matin ne serait donc pas fondée en droit et serait une violation du Règlement de notre assemblée, mais aussi une entorse aux règles constitutionnelles.

La proposition concerne l'étude d'impact de deux projets de loi, organique et ordinaire, examinés au sein d'une commission spécialement désignée à cet effet. Néanmoins, compte tenu des compétences de la commission des affaires sociales de notre assemblée, c'est cette dernière qui a la charge, aujourd'hui, d'examiner cette résolution.

C'est en application de l'article 141 de notre Règlement, selon lequel chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire obtient de droit, une fois par session ordinaire, la création d'une commission d'enquête, que ma collègue, et présidente du groupe, Valérie Rabault a manifesté au Président de l'Assemblée nationale le 10 février dernier son intention d'exercer son droit de tirage sur le sujet qui nous occupe.

Le constat réalisé par la commission des affaires sociales de la satisfaction des conditions de recevabilité devra permettre la création rapide de la commission d'enquête par la Conférence des présidents.

Les articles 137 à 139 du Règlement fixent trois conditions et je les examinerai ici successivement.

L'article 137 prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doivent déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publiques dont la commission doit examiner la gestion. En l'espèce, l'article unique de la proposition de résolution vise à créer une commission d'enquête pour s'assurer de la sincérité, de l'exhaustivité et de l'exactitude de l'étude d'impact relative au projet de loi instituant un système universel de retraite.

Les faits visés par la commission d'enquête sont donc très clairs. Ils portent sur les modalités de construction du document de 1 029 pages supposé éclairer notre assemblée sur les deux projets de loi, dont l'un est encore en cours d'examen, en particulier sur sa conformité avec les objectifs fixés à l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34, alinéa 1, 39 et 44 de notre Constitution.

Cette commission d'enquête ne vient donc pas remettre en cause le principe constitutionnel de liberté de légiférer du Gouvernement. Des précédents en la matière sont connus. Au Sénat, par exemple. Jean Arthuis a été rapporteur d'une commission d'enquête chargée de recueillir des éléments d'information sur les conséquences de la décision de réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail. Cette résolution a été adoptée le 11 décembre 1997, alors que le projet de loi avait été déposé la veille sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Le précédent du contrôle parlementaire de l'état d'urgence est peut-être plus éclairant encore. Le Gouvernement a été contrôlé en continu par la commission des lois exerçant les prérogatives d'une commission d'enquête pendant six mois. Cela n'a en rien empêché ni le Gouvernement de mettre en oeuvre l'état d'urgence, ni de continuer à légiférer sur ce sujet afin de proroger l'état d'urgence. Un contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement n'interfère donc pas avec sa liberté de légiférer.

Par ailleurs, le pouvoir de contrôle de l'action du Gouvernement, confié au Parlement à l'article 24 de la Constitution, n'est aucunement limité à un contrôle ex post mais peut tout à fait s'exercer ex ante.

La proposition de résolution précise qu'il s'agira d'évaluer la sincérité, l'exhaustivité et l'exactitude de l'étude d'impact.

La sincérité renvoie à la communication de bonne foi par le Gouvernement d'éléments d'information susceptibles d'éclairer le législateur sur les conséquences économiques, sociales et financières des lois examinées. La sincérité du débat parlementaire est un élément constitutionnel et le Conseil constitutionnel a, en 2010, censuré des mesures contenues dans la loi relative à l'entrepreneur individuel : il ne saurait y avoir de débat sincère qui puisse s'appuyer sur des données faussées.

L'exhaustivité est également un impératif propre aux études d'impact puisque la loi organique du 15 avril 2009 prévoit la présentation précise d'un ensemble d'items pour informer les parlementaires, donc les citoyens, sur les projets de loi examinés. Cette liste comprend entre autres l'état du droit, les conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des dispositions présentes dans le projet de loi, ainsi que les coûts et les bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales, en indiquant la méthode de calcul retenue et l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public.

L'exactitude est consubstantielle à l'idée même d'une étude d'impact. Les données présentées par le Gouvernement fondent l'intervention des parlementaires et leur vote. Des données inexactes fournies de bonne foi sont également de nature à altérer la sincérité des débats parlementaires.

Ces faits ont été fortement soulevés dans l'avis du Conseil d'État sur les projets de loi dont il est question. Malgré les compléments apportés à l'étude initiale, le Conseil d'État constate que les projections financières transmises restent lacunaires : dans certains cas, « cette étude d'impact reste en deçà de ce qu'elle devrait être ».

Ces points ont également été évoqués dans de nombreuses interventions d'universitaires dans le débat public. Lors de l'examen des projets de loi en commission spéciale et en séance, ils ont fait l'objet de multiples observations adressées par les députés de tous les bancs aux représentants du Gouvernement.

La résolution le mentionne avec précision, il conviendrait notamment de vérifier la sincérité et l'exactitude de l'étude d'impact quant aux conséquences des mécanismes de transition sur les 10,7 millions de Français nés entre 1963 et 1975 ; les mécanismes des calculs et des flux financiers liés à ces mêmes périodes de transition et des dispositifs de compensation ; les conditions d'éligibilité à la retraite minimale, fixées à 85 % du SMIC, en particulier pour les agriculteurs, et l'évolution de ces montants de pension du fait des coefficients d'actualisation.

Il s'agit de faits précis sur lesquels la commission d'enquête s'attachera à recueillir des éléments de nature à éclairer l'avis de l'ensemble des parlementaires.

Le choix de recourir à une commission spéciale a privé nos travaux de la nomination de droit d'un rapporteur d'application qui aurait eu la faculté, en première lecture, de mener un travail d'analyse de l'étude d'impact, comme cela est prévu à l'alinéa 7 de l'article 86 du Règlement. Le groupe Socialistes et apparentés avait saisi la présidence de notre assemblée d'une demande de nomination d'un rapporteur d'application pour cette première commission spéciale constituée depuis la réforme de notre Règlement. Cela nous a été refusé.

Il n'a pas non plus été décidé, ni par la présidente de la commission des affaires sociales, qui préside également la commission spéciale, ni par le Président de l'Assemblée, qui avait également la possibilité de recourir à la faculté ouverte par l'article 146-5 de notre Règlement, de saisir le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques pour qu'il donne son avis sur les documents rendant compte de l'étude d'impact au bénéfice de l'information de la Conférence des présidents et de la commission spéciale.

Ainsi, un travail d'analyse au fond d'une étude d'impact est une compétence explicite de notre assemblée qui n'a pas été exercée sur celle qui est visée ici.

Ce faisant, la constitution d'une commission d'enquête ne contrevient pas à l'avis exprimé par la Conférence des présidents, au regard de l'article 47-1 du Règlement, selon lequel l'étude d'impact dont nous parlons n'a pas méconnu les conditions normales de présentation des projets de loi.

En effet, cet avis est rendu sur la base d'une vérification formelle et non sur une vérification au fond telle que l'absence de recours aux facultés précédemment mentionnées, ainsi que du référé du 22 juin 2018 de la Cour des comptes sur les études d'impact législatives dans les ministères sociaux, qui indique que les différents contrôles institutionnels exercés en amont du dépôt du projet de loi portent sur le respect formel des dispositions de la loi organique et non sur sa pertinence ni sur les cohérences de l'étude d'impact présentée.

Notre résolution définit donc clairement les faits sur lesquels portera la commission d'enquête.

L'article 138 du Règlement rend irrecevable la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une commission d'enquête ou une mission d'information disposant des mêmes pouvoirs, ayant achevé ses travaux depuis moins d'un an.

Dans le cas présent, l'Assemblée nationale ne s'est pas penchée sur la sincérité, l'exhaustivité ou l'exactitude d'une étude d'impact depuis le début de l'actuelle législature. Dès lors, aucune commission d'enquête, ni aucune mission d'information ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois n'avait le même objet.

Enfin, l'ordonnance du 17 novembre 1958 et l'article 139 du Règlement précisent qu'une commission d'enquête parlementaire ne peut pas être créée lorsque des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

Interrogée par le Président de l'Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, lui a fait savoir par lettre du 24 février 2020, qu'elle n'avait pas connaissance de poursuites judiciaires en lien avec le sujet ayant motivé le dépôt de cette procédure de résolution.

Cette réponse claire permet donc d'écarter tout risque d'obstacle à la création de cette commission d'enquête.

En conséquence, mes chers collègues, je vous propose de constater que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par l'ordonnance du 17 novembre 1958 et par les articles 137 à 139 du Règlement de l'Assemblée nationale et qu'aucun élément de droit ne fait obstacle à sa constitution.

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