Intervention de Monique Limon

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 10h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Limon :

Conformément à l'article 140 de notre Règlement, il revient à notre commission de vérifier, sans se prononcer sur son opportunité, si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête demandée par le groupe Socialistes et apparentés sont ou non réunies.

Or, il est manifeste qu'elles ne le sont pas. En réalité, et vous le savez bien monsieur le rapporteur, une commission d'enquête ne sert pas et ne doit pas servir à enquêter sur une étude d'impact. Il s'agit là d'un détournement de procédure qui se vérifie à plusieurs étapes de l'examen de recevabilité.

Premièrement, une commission d'enquête ne peut être créée lorsque des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, conformément à l'ordonnance de 1958 et à l'article 139 de notre Règlement. Vous dites que cette condition est remplie. En fait, elle est sans objet puisqu'il est strictement impossible d'engager des poursuites judiciaires sur une étude d'impact. Cette demande rend donc absurde la procédure prévue pour la recevabilité des commissions d'enquête et n'est donc pas adaptée.

Deuxièmement, les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. Or, cette demande de commission ne porte sur aucune des trois possibilités. Comme l'a souligné la garde des Sceaux, il s'agit plutôt d'un sujet, celui de la sincérité, de l'exhaustivité et de l'exactitude de l'étude d'impact du projet de loi et non d'un fait déterminé. Cette demande est, sur ce point aussi, clairement irrecevable.

Par ailleurs, lors de nos longues heures de débats, des réponses ont été apportées sur tous les éléments que vous citez dans votre rapport – les mécanismes de calcul, les flux financiers liés aux périodes de transition et leurs conséquences, les dispositifs de compensation ou encore les conditions d'éligibilité à la retraite minimale à 85 % du SMIC et l'évolution de ce montant de pension.

Troisièmement, votre demande porte sur un élément de procédure législative. Or ce sujet ne peut donner lieu à enquête. Nous sommes ici au coeur de notre Constitution : les commissions d'enquête s'inscrivent dans le cadre de l'article 51, alinéa 2, de la Constitution pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation des politiques publiques et de l'action du gouvernement après le vote de la loi. En revanche, le vote de la loi est régi par l'article 24 de la Constitution.

Vous le savez, une étude d'impact peut être contrôlée et contestée, mais par une procédure spécifique. Tout d'abord, il revient au Conseil d'État d'exercer un contrôle approfondi du respect des dispositions de la loi organique de 2009, en particulier de la sincérité et du caractère complet des études d'impact. S'il juge qu'il y a des insuffisances, il peut demander au Gouvernement de compléter l'étude d'impact et, en cas d'insuffisance avérée sur un point significatif, peut être conduit à surseoir à l'examen au fond en retenant l'avis dans l'attente d'une régularisation. En cas d'absence ou de carences graves dans l'étude d'impact, il peut même rejeter le projet de loi et il l'a déjà fait.

Ce n'est absolument pas le cas pour ces deux projets de loi. Pour ces textes, le Conseil d'État a demandé au Gouvernement de compléter certains points. Le vice-président du Conseil d'État a d'ailleurs rappelé que ce n'était pas la première fois qu'il invitait un gouvernement à compléter une étude d'impact et que cet épisode n'avait rien d'exceptionnel. Ce que vous prêtez au Conseil d'État dépasse donc la réalité.

Il existe une autre procédure pour contester une étude d'impact en amont du vote de la loi, conformément à l'article 39 de la Constitution, à l'article 9 de la loi organique de 2009 et à l'article 47, alinéa 1, de notre Règlement.

En effet, si l'on juge que la présentation d'un texte ne respecte pas les exigences de la loi, il est possible de s'opposer à son inscription à l'ordre du jour en saisissant la Conférence des présidents dans un délai de dix jours à compter du dépôt du projet de loi.

En cas de désaccord avec le Gouvernement, le Président de l'Assemblée peut ensuite saisir le Conseil constitutionnel pour qu'il se prononce sur la conformité de l'étude d'impact en question. Cette procédure, vous la connaissez puisque vous l'avez mise en oeuvre le 28 janvier dernier pour ces textes relatifs aux retraites. La Conférence des présidents n'y a pas fait droit. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec cette décision, mais elle respecte la procédure parlementaire.

Dans ces conditions, et au regard du caractère manifestement irrecevable de cette commission d'enquête – ce n'est pas à vous que je vais apprendre la procédure, vous la connaissez parfaitement – comment ne pas considérer cette demande comme une nouvelle manoeuvre politique qui n'a qu'un seul but : que la réforme des retraites n'aboutisse pas ?

Vous savez parfaitement que la création d'une commission d'enquête portant sur le contenu de l'étude d'impact d'un projet de loi la conduirait à s'immiscer dans la procédure parlementaire, en dehors de toute base constitutionnelle, organique ou réglementaire. Nous ne pouvons l'accepter.

Aussi, pour le respect de nos institutions et de la procédure parlementaire, au nom du groupe La République en Marche, j'appelle l'ensemble des membres de cette commission à constater l'irrecevabilité de cette demande de commission d'enquête.

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