Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du jeudi 7 mai 2020 à 21h30
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Après l'article 1er

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

Eh oui, comme vous l'aurez compris, j'ai suivi les travaux de la commission même si je n'y ai pas participé ! Le port du masque en permanence peut devenir agaçant au bout d'un moment, par exemple lorsqu'on veut parler dans un micro, dire quelque chose à son voisin ou même boire un verre d'eau.

Le problème d'un masque, c'est que ce n'est pas une surface lisse sur laquelle les virus vont glisser. C'est une surface qui empêche les gouttelettes contenant du virus de traverser mais ces gouttelettes viennent tout de même se positionner sur le masque. Si vous êtes en face de quelqu'un qui, en toussant dans votre direction, envoie des particules virales sur votre masque, et que vous touchez ce masque, par exemple pour le remettre sur votre oreille parce qu'il tombe de votre nez, vous allez vous couvrir de virus : d'abord sur les doigts, puis sur les mains et ensuite partout, car vous vous sentez protégé par le masque.

Ces remarques et vos propos ne sont d'ailleurs pas antinomiques : on peut considérer que le port du masque doit être obligatoire et, par ailleurs, qu'il faut apprendre à le porter correctement. Je dis simplement que le port du masque constituera dans les prochains jours un enjeu collectif : on doit pouvoir le laver quand il le faut s'il s'agit d'un masque lavable, le jeter quand il le faut s'il s'agit d'un masque jetable, et le toucher le moins possible quand on le porte car sinon on est faussement protégé.

D'autre part, l'Organisation mondiale de la santé dit – et c'est la raison pour laquelle elle ne bascule toujours pas du côté de ceux qui considèrent que le port du masque en population générale est utile – que, lorsqu'on porte un masque et qu'on est en compagnie d'une personne qui porte un masque, imperceptiblement, on se rapproche. Peut-être avez-vous expérimenté ce phénomène. Tout d'abord, on se sent protégé, cette barrière visible nous laisse penser qu'on ne risque plus grand-chose. En outre, on a parfois l'impression d'être moins audible. Faites l'expérience : réunissez-vous à dix, debout, dans une pièce, portez tous un masque et vous constaterez que vous vous rapprocherez. Or la mesure la plus efficace pour lutter contre la transmission d'un virus, – surtout de ce type – , est la distanciation physique, le fait de pouvoir rester à distance d'autrui. Il ne faut donc surtout pas s'imaginer que le masque pourrait remplacer les gestes barrières. Par endroits, on court même le risque de faire diminuer l'impact positif du respect des mesures barrières.

Je ne retracerai pas ici l'historique de cette épidémie, des commissions ad hoc s'en chargeront, on y parlera des masques, des stocks – ce qui ne me pose pas de problème, je l'ai déjà fait à l'envi et le referai autant de fois que ce sera nécessaire. Mais je tiens à rappeler que, en période d'épidémie, le port du masque en population générale n'est jamais apparu comme une solution évidente, n'a pas fait l'objet ne serait-ce que d'une recommandation, et ce jusqu'au début du mois d'avril, lorsque l'opinion des autorités sanitaires a commencé à basculer, les uns considérant que cela pourrait être intéressant, les autres qu'il faudrait le promouvoir, voire, comme certains commencent à le dire, qu'il faudrait le promouvoir partout. Si nous disons qu'il faut rester humble, c'est parce que ni vous ni moi n'avons la capacité de procéder à un test grandeur nature, sur une population donnée, pour déterminer si ce masque assurerait une protection supplémentaire.

Le Haut Conseil de la santé publique, dans un avis datant de 2015, a fait le point sur sept études conduites en période d'épidémie grippale, sur la population française, visant à comparer la propagation du virus chez des groupes de Français portant le masque et chez des groupes ne le portant pas. Le Haut Conseil concluait à l'absence d'efficacité du masque. Moi-même, j'ai déjà dit très tôt, il y a plus de deux mois, notamment lors des conférences de presse au ministère, que, si 60 % de la population portait en permanence un masque correctement, cela pourrait avoir un impact sur la propagation de l'épidémie, mais ce n'est pas le cas.

Chacun évolue, les Français évoluent. Si l'on nous avait dit, il y a trois mois, que les Français resteraient confinés chez eux, n'iraient plus faire de sport à l'extérieur, n'iraient plus travailler, ne prendraient plus les transports en commun, n'iraient pas voir leur famille, nous n'y aurions pas cru. Peut-être sommes-nous prêts, collectivement, à aller vers le port du masque.

Le problème que me posent vos amendements, ce n'est pas le port du masque, mais l'obligation que vous voulez inscrire dans la loi. Je rappellerai tout d'abord que nous n'avons pas rendu obligatoires les gestes barrières. On ne va pas mettre quelqu'un à l'amende parce qu'il ne s'est pas lavé les mains toutes les heures, parce qu'il a serré la main de quelqu'un d'autre, parfois sans le faire exprès, ou parce qu'il n'a pas toussé dans son coude mais dans sa main. Or les gestes barrières sont les mesures les plus efficaces. Par conséquent, il ne me semble pas pertinent d'infliger une amende de 135 euros à quelqu'un qui ne porte pas de masque dans l'espace public.

Je sors très peu, si ce n'est pour me rendre du ministère aux assemblées, mais il m'arrive de croiser dans la rue des personnes seules sur leur vélo et qui portent un masque. De quoi se protègent-elles ? On raconte aussi que des personnes portent un masque pour se rendre sur leur lieu de travail, parfois même en voiture, mais l'enlèvent une fois arrivées car elles commencent à avoir envie d'échanger, de discuter.

Nous allons donc tous, moi inclus, être confrontés à un enjeu collectif autour du masque : comment le porter ? Dans quelles circonstances ? Dans quelles situations ? Il ne me semble pas pertinent de commencer en instaurant le port obligatoire, sous peine d'amende, en toute circonstance. Si, ce soir, je marche seul dans la rue pour retourner au ministère, en quoi le masque serait-il indispensable pour me protéger ?

Il faut faire évoluer les moeurs, les mentalités, les pratiques. Il faut avancer, expliquer, accompagner, encourager. Mais il ne faut pas infliger une amende pour non-port du masque. En revanche, monsieur Ciotti, une amende figure dans le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. C'est une amende de quatrième classe, qui s'élève à 135 euros et qui punit le non-port du masque dans les lieux où c'est vraiment indispensable, par exemple les transports publics. Avis défavorable sur tous ces amendements.

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