Mesdames et messieurs les députés, vous vous apprêtez à adopter enfin cette proposition de loi, un peu plus d'un an après son annonce par le Président de la République. Ce temps aura été très utile pour améliorer, retravailler, préciser, renforcer un texte qui, je l'espère, marquera une étape importante dans la lutte contre la haine en ligne et, plus largement, dans un mouvement de régulation et d'adaptation de notre cadre législatif et réglementaire à ce qu'est devenue notre vie en ligne – mouvement qui, me semble-t-il, n'en est qu'à ses début.
Cette adoption survient dans un contexte très particulier. La crise que nous traversons nous incite à remettre en perspective notre action politique et, probablement, certaines de nos priorités.
Disons-le clairement : ce n'est malheureusement pas le cas de la haine en ligne. Les avancées que permettra ce texte n'ont jamais été aussi urgentes. Pendant deux mois, nos concitoyens ont plus que jamais utilisé les outils numériques pour s'informer, travailler, communiquer, se divertir, en somme pour tenir bon pendant le confinement. Pendant ces deux mois, la haine en ligne a augmenté, sur fond de complotisme, d'antisémitisme, de xénophobie, d'homophobie aussi. Ce fléau a contribué à renforcer le sentiment d'isolement de certaines victimes, tandis que les auteurs de ces contenus haineux se sentaient toujours, et plus que jamais, intouchables.
Le Gouvernement, aux côtés des associations, s'est mobilisé pour remédier à cette situation. Nous avons travaillé avec les plateformes : nous avons fait le point sur les moyens qu'elles déployaient dans ce contexte exceptionnel, nous leur avons demandé de faire davantage, à la mesure de l'importance qu'elles ont prise dans la vie des Français. Il faut saluer celles – toutes ne l'ont pas fait – qui ont répondu présent dans une période aussi difficile pour leurs équipes de modération. Mais nous avons également constaté l'urgence d'établir le cadre législatif contenu dans cette proposition de loi : nous ne pouvons plus nous contenter de miser sur le bon vouloir des plateformes et sur leurs engagements. C'est à l'État qu'il revient de fixer des règles claires, conformes aux exigences de nos concitoyens ; c'est au régulateur qu'il revient d'en assurer une application proportionnée et efficace, et, au besoin, de sanctionner.
Le texte qui vous est proposé a été façonné de bout en bout par la représentation nationale et affiné au fil des discussions, en tenant compte des remarques formulées par le Conseil d'État et par la Commission européenne. Je regrette à ce titre que le Sénat, tout en reconnaissant le bien-fondé de cette proposition, ait préféré faire échouer la commission mixte paritaire. Il y avait pourtant là l'occasion d'un consensus transpartisan et transparlementaire sur un sujet qui doit tous nous mobiliser.
La proposition de loi de Laetitia Avia combine en effet la force d'un objectif clair – le retrait en vingt-quatre heures des contenus haineux manifestement illicites – et un dispositif de régulation systémique, portant sur l'ensemble des moyens employés par les plateformes, sous la supervision du CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Ce dispositif de régulation inédit est particulièrement adapté à des plateformes dont la taille, le modèle, sont variés et en perpétuelle évolution. Il sera la première étape du paradigme de régulation des plateformes que nous appelons de nos voeux depuis plusieurs années.
Bien sûr, l'étape décisive qu'est l'adoption de ce texte nous oblige. Nous présenterons dans les prochaines semaines les décrets d'application de la loi ; il nous faudra également achever l'arsenal qui en assurera la bonne application, qu'il s'agisse du CSA, de l'observatoire prévu par le texte, ou de l'appareil judiciaire. Celui-ci, Nicole Belloubet l'a rappelé, jouera un rôle essentiel au sein du dispositif destiné à lutter contre l'impunité des auteurs de contenus haineux.
Ne l'oublions pas : ce combat est loin d'être terminé. Il doit trouver un prolongement européen, car l'Europe constitue l'échelon le plus efficace pour réguler les acteurs du numérique, en particulier les plus grands d'entre eux. Les travaux menés dans le cadre de l'élaboration de ce texte, comme ceux réalisés auparavant en Allemagne, ont favorisé la prise de conscience. Dans le contexte des nouveaux mandats européens, les autorités françaises ont résolument insisté pour que cette préoccupation figure tout en haut de l'agenda. Désormais, la Commission européenne la revendique : elle a annoncé qu'elle traiterait le sujet au sein de son futur Digital Services Act. Soyez assurés que nous veillerons aux ambitions de ce texte et que nos concitoyens n'en seront que mieux protégés. En outre, l'expérience d'un dispositif national sera un atout précieux pour peser dans ces discussions et pour élaborer un dispositif européen qui soit le plus efficace possible.
Avant de conclure, je tiens à ajouter un mot plus personnel. Je ne peux évidemment parler que de ce que je sais et de ce que j'ai vécu. Ce que je sais, c'est que le texte que vous allez adopter n'en serait pas là si, depuis deux ans, Laetitia Avia n'avait mené un combat acharné pour le voir éclore puis aboutir. Elle a su aller toujours de l'avant, avec une ténacité dont les services du Gouvernement pourraient témoigner,