Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du mercredi 13 mai 2020 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Le dispositif de sanction d'abus de signalement que vous nous proposez pour remédier à l'abus de retrait est avant tout un dispositif d'affichage : soit il sera inopérant, soit il conduira cette fois-ci à de l'autocensure.

En revanche, ce que votre proposition de loi a suscité, c'est l'annonce par Twitter de sa propre labellisation des tweets propageant des infox autour du covid-19 pour mettre ces derniers en évidence – une méthode qui risque d'ailleurs de produire l'effet inverse de celui qui est désiré.

Ce que votre proposition a suscité, c'est la création par Facebook de ce que Mark Zuckerberg appelle un « conseil de surveillance », une entité dite indépendante mais dépendant toutefois de Facebook, une sorte de « cour suprême » qui serait amenée à « juger les conflits sur les contenus ». À sa décharge, ce n'est que l'outil nécessaire pour appliquer ce genre de proposition de loi si elle était votée telle quelle. En effet, la seule manière pour Facebook d'évoluer, à ce jour, entre les millions de personnes qui signalent un contenu en vue de son retrait et ceux qui contestent ce retrait est, pour la plateforme, de créer elle-même un espace où s'élaborerait une jurisprudence internationale.

Pourtant, cette jurisprudence internationale est par essence impossible à concevoir du fait des sensibilités et des conceptions si différentes que l'on se fait, dans le monde entier, des notions auxquelles se réfère la loi. Quelles que soient les tentatives de tenir compte des spécificités, une telle jurisprudence viendra renforcer la vision du monde de ceux qui dominent aujourd'hui le monde – et à ce jour, ce ne sont pas les Européens.

Alors que votre majorité n'a qu'un seul mot à la bouche, « souveraineté », ce que révèle votre proposition de loi, c'est notre propre impuissance. Elle conduira à un abandon pur et simple de « souveraineté ».

Ce qui est grave, par ailleurs, c'est que vous nous proposez de tenter, quoi qu'il en coûte, d'endiguer le flot de contenus haineux alors que notre devoir est de nous attaquer aux racines du mal. Vous ne proposez pas de pistes qui contribueraient à aller dans le sens de l'histoire, celui du droit européen qui est en train de s'inventer : ralentir la viralité, jouer sur l'ordonnancement des contenus et promouvoir l'interopérabilité. Toutes ces pistes, notre groupe vous les avait proposées dès la première lecture. Vous les avez balayées.

Depuis le début de la crise, vous nous dites que le jour d'après ne sera pas comme le jour d'avant, vous appelez à la coopération et à la solidarité européenne. Et la première loi que nous sommes amenés à adopter en début de déconfinement est une loi potentiellement liberticide, qui propose des mesures nationales unilatérales sur un sujet qui, par essence, traverse les frontières !

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