Après avoir traité de la question de notre rapport à la nature, la seconde consiste à savoir comment nous souhaitons vivre entre humains. La refonte des liens humains est selon nous la seconde condition d'un nouveau modèle de société.
Je pense tout d'abord à l'intégration systématique, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et à leurs relations avec les parties prenantes. Je pense également à une nouvelle répartition des chaînes de valeurs afin de ne plus évaluer le développement uniquement à partir de la richesse et de la croissance mais en prenant également en considération des indicateurs sociaux, sanitaires et écologiques. La valeur ne doit pas se mesurer à l'aune de la seule création de richesse mais surtout en fonction de critères très différents tels que le lien social, la santé, le niveau d'éducation et le respect d'objectifs environnementaux.
Comme nous le constatons en ce moment, la préservation de la santé et de l'écologie garantit la qualité de vie voire la survie. À l'échelle d'un pays, l'une et l'autre doivent être aussi importantes que la croissance économique. La valeur d'une vie en bonne santé surpasse les bénéfices d'un surcroît de consommation – telle était d'ailleurs la conclusion de la commission Stiglitz en 2009.
Ces indicateurs de bien-être social auront en outre l'avantage d'être des indicateurs d'inégalités sociales, lesquelles auront été au fondement même de plusieurs des crises que nous avons traversées. Le mouvement de protestation des gilets jaunes, d'une part, et le confinement dû à l'épidémie, d'autre part, ont ainsi mis en lumière un aspect fortement sous-estimé : la recherche de liens humains. Beaucoup ont profité de la première crise pour recréer du lien social, pour être de nouveau en relation avec les autres, et, au cours de la seconde, on a vu les Français développer de nouveaux liens de solidarité, entre autres en soutenant les soignants ou en aidant les personnes âgées ou isolées. N'est-ce pas la société que nous voulons tous ? Ce lien humain doit être la base de nos indicateurs économiques et sociaux. Nous devons nous débarrasser de l'obsession du produit intérieur brut – PIB – et inventer de nouveaux indicateurs de croissance en ne considérant plus la création de richesse comme un étalon mais en intégrant la création de ces chaînes de valeur.
Cette refonte des relations entre les individus a pour corollaire, dans cette quatrième révolution industrielle, le déploiement du numérique au service de l'humain. En effet, alors que la troisième révolution industrielle a reposé sur un développement massif des nouvelles technologies, les économies européennes ont laissé de côté l'impact des outils numériques sur l'environnement. On sait que la consommation mondiale d'électricité, imputable à nos téléphones, tablettes, ordinateurs, mais également aux centres de données et aux réseaux, est en constante augmentation. Le développement de nouvelles technologies et l'expansion de l'intelligence artificielle ne doivent pas être un prétexte pour supprimer les personnes mais un vecteur pour créer et faciliter le lien humain réel.
Toute cette réflexion autour d'une réindustrialisation bas carbone ne sera bien sûr possible que dans un cadre plus large de coopération multilatérale. Au niveau international, les positions de la France ont toujours été cohérentes : protection de la biodiversité, élargissement des espaces protégés, lutte contre les trafics d'animaux – à l'origine de maladies émergentes – et, bien entendu, valorisation de nos produits locaux.
On ne peut bien sûr faire fi des échanges internationaux mais ceux-ci doivent être vus à l'aune de l'équilibre, de la durabilité et de l'aide internationale. Profitons donc des prochains rendez-vous internationaux pour aller dans cette direction. Nous le voyons, la crise du covid-19 est le moment, à la fois, de proposer un nouveau cadre pour repenser notre rapport à la planète et de revenir sur certaines considérations économiques et pratiques, les réponses du passé n'étant manifestement pas opérantes. Ce nouveau cahier des charges doit permettre la réindustrialisation de notre économie, qui valorisera l'innovation bas carbone, la recherche médicale, la refonte du lien social et une relocalisation raisonnée de nos activités.