La crise inédite que nous traversons révèle indiscutablement les faiblesses de notre modèle économique. Elle met notamment en lumière notre dépendance à l'égard de pays tiers à l'Union européenne, en particulier de la Chine – qui plus est, pour l'approvisionnement en produits de première nécessité. Le mouvement de désindustrialisation de notre pays est ancien, il remonte au moins aux années 1980. Même si on peut reconnaître qu'il a été partiellement enrayé par les créations d'emplois industriels depuis 2017, les politiques de réarmement industriel s'inscrivent dans le temps long – ce qu'on doit garder à l'esprit lorsque l'on parle de relocaliser certaines activités stratégiques.
Le ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire a plusieurs fois plaidé pour une réindustrialisation du tissu productif. L'injonction à la relocalisation est toutefois sans effet si elle n'est pas suivie d'une politique d'attractivité du territoire, qui doit d'abord se traduire par la refonte de notre politique fiscale. Pour commencer, il faut se pencher sur les divers impôts de production – la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, la cotisation foncière des entreprises, la CFE – qui sont, on le sait, considérés par certains comme trop élevés. Tirant la compétitivité vers le bas, ils contribuent à la relative atonie de l'économie française. D'ailleurs, le Gouvernement avait fait de la baisse de ces taxes un des chantiers clés à mener. Sera-t-il toujours d'actualité après la crise ? Sera-t-il l'un des leviers de votre plan de relance ?
Une fois cette question posée, il faut s'intéresser aux finances des collectivités territoriales dont les impôts de production représentent une part structurante. Nous sommes convaincus que seule une réforme de la fiscalité locale permettra de garantir l'autonomie financière des collectivités et redonnera à nos territoires leur attractivité. D'où cette autre question : la crise vous a-t-elle poussés à revoir vos objectifs, à renforcer les deux premiers piliers de la loi 3D – décentralisation, différenciation et déconcentration ? Allez-vous donner enfin aux collectivités locales les moyens de mener une politique d'attractivité du territoire ?
Autre levier d'action : le soutien à la recherche et à l'innovation. Alors que nous disposons depuis longtemps de laboratoires et de chercheurs de renommée mondiale, nous ne sommes pas aussi présents que nous devrions dans la révolution technologique. En France, le crédit d'impôt recherche joue un rôle essentiel pour stimuler l'innovation ; aussi regrettons-nous la réduction, dans la loi de finances pour 2020, de l'enveloppe globale qui lui est accordée. Envisagez-vous une réforme de ce dispositif afin de soutenir les dépenses de recherche et développement de ses bénéficiaires dans le contexte de crise ? Dans le même ordre d'idées, des inflexions sont-elles à prévoir dans la politique européenne de l'innovation afin de permettre l'émergence de nouveaux champions européens ?
La reconquête industrielle doit en outre être en phase avec l'impératif écologique. Face à l'urgence climatique, il nous faut mener une révolution verte basée sur une économie circulaire, tout en tirant parti des technologies intelligentes de l'internet des objets. À la clé, le développement des industries de demain, que ce soit la mutation du secteur aéronautique, la batterie électrique ou encore les véhicules électriques. Là aussi, le soutien public à l'investissement sera déterminant, c'est pourquoi le groupe Libertés et territoires sera particulièrement attentif au déploiement du pacte vert pour l'Europe – Green Deal. Celui-ci ne saurait cependant suffire ; où en est le projet d'une taxe carbone aux frontières de l'Europe ? La fixation d'un prix plancher pour le quota carbone est-elle à l'étude ?
Mener une nouvelle révolution industrielle sous le sceau écologique, c'est également perpétuer les réussites qui ont émergé de cette crise : je pense aux circuits courts de production. Dans le domaine de l'artisanat et de l'agroalimentaire, c'est la multiplication de ces processus qui permettra de revivifier les territoires éloignés des métropoles. C'est pourquoi à la révolution industrielle, écologique et numérique j'ajouterai la révolution agricole. Plus que jamais l'agriculture française doit prendre le tournant d'une transformation écologique, créatrice de valeur et en adéquation avec les attentes des consommateurs.
Enfin, dans quelques jours, la Commission européenne annoncera son plan de relance. Il pourrait être l'occasion, pour l'Europe, de se placer sur l'échiquier mondial en tant que force motrice de cette nouvelle révolution. L'Union a les compétences, les connaissances et les forces vives nécessaires ; à elle de ne pas passer à côté de cette chance historique.