Le numérique a sauvé le monde. La poursuite des activités économiques, de notre fonctionnement démocratique et même de nos liens familiaux les plus intimes, c'est l'infrastructure numérique qui l'a supportée. Autant dire que, sans numérique, il n'y aurait pas eu de confinement.
Pourtant, non seulement notre plan de continuité d'activité a été dépendant du numérique, mais il a été dépendant d'un certain numérique, largement pensé et conçu en dehors de nos frontières. C'est là que le bât blesse : la France et, plus largement, l'Europe sont les vassales digitales de grandes puissances – je parle ici aussi bien des pays qui ont su créer l'écosystème favorable à leur domination, comme les États-Unis ou la Chine, que d'entreprises dont la capitalisation dépasse de loin le PIB de la plupart des États du monde. Si, demain, une grande entreprise du numérique décidait de ne plus opérer en France ou, pire, si un pays, au nom d'une guerre économique, venait à couper le cordon, c'est toute notre infrastructure numérique dépendante qui s'effondrerait et nous placerait en confinement forcé.
Le plan de relance, qui promet des avalanches de milliards pour l'Europe, doit être utile pour construire une souveraineté totale. Dans cette souveraineté totale, notre souveraineté numérique est fondamentale. Il est temps de sortir du défaitisme dont nous avons fait preuve en Europe après avoir, selon l'opinion majoritaire, loupé le coche de la transition numérique. Il n'y a pas de fatalité. Nous devons profiter de la relance pour construire un cadre propice à notre souveraineté numérique, s'appuyant sur trois piliers : l'investissement dans des infrastructures digitales de confiance, pour ne pas être dépendants des câbles sous-marins et des centres de données extraterritoriaux ; un droit européen et français ambitieux de rapatriement de nos données personnelles et interpersonnelles pour enfin boucher la brèche du pillage de nos informations par les géants du numérique étrangers ; et un cadre européen harmonisé et équitable de taxation des géants du numérique, ce qui aurait le double avantage de créer une recette pour le futur budget européen et de contraindre ces entreprises à rendre un peu de l'immense valeur qu'elles créent avec notre vie quotidienne en ligne.
Comme on a constaté l'impuissance sanitaire de la France et de l'Europe, on a aussi constaté leur impuissance digitale. Le Gouvernement est-il prêt à défendre cette question fondamentale de la souveraineté en Europe sur le plan industriel, juridique et fiscal ?