Si le thème retenu par le groupe Socialistes et apparentés pour cette semaine de contrôle ne doit rien au hasard, il n'est pas non plus entièrement inspiré par la crise sanitaire. Depuis 2017, Valérie Rabault sonne l'alerte sur cette question. Le 11 février dernier, à la suite de la publication par l'Agence nationale de la santé et du médicament – ANSM – d'une note sur les difficultés d'approvisionnement en BCG thérapie pour le traitement des tumeurs de la vessie, j'ai moi-même interrogé Mme Buzyn sur notre dépendance vis-à-vis de la Chine.
Si la pénurie de médicaments est ancienne, la hausse du nombre de ruptures d'approvisionnement accélère rapidement. En 2018, environ 400 médicaments ont été en rupture de stock ; en 2019, on en dénombrait 500. La pénurie touche toutes les classes thérapeutiques de médicaments, qu'ils soient essentiels, tels que les anticancéreux, les antibiotiques et les vaccins, ou génériques, ce qui obère la recherche de solutions alternatives aux traitements suivis.
La crise sanitaire que nous vivons, qui sévit dans presque tous les pays du globe, accentue encore la pénurie. Dès les premières semaines de la crise, les stocks ont subi une pression intense. Dès ses premiers jours, l'Alliance européenne des hôpitaux universitaires a donné l'alerte sur les risques de pénurie de médicaments utilisés pour traiter les patients atteints du covid-19 – en réanimation ou en soins intensifs – , tels que le curare et les hypnotiques. Les CHU s'en sont également fait l'écho. Pire encore : les stocks de médicaments ne manquaient pas uniquement pour les patients atteints du covid-19, mais pour ceux souffrant d'autres pathologies – j'allais dire « du quotidien ».
Dès le 6 février, l'ANSM a fait état de tensions sur les stocks de Kaletra, qui est utilisé en médecine de ville pour les patients infectés par le virus de l'immunodéficience humaine – VIH. La remise à disposition normale de ce médicament est prévue pour le mois de juin prochain, nous dit-on. Ainsi, les défaillances qu'a connues notre pays en matière de production et de distribution de médicaments n'ont pas affecté uniquement des patients atteints du covid-19, mais aussi un grand nombre de nos concitoyens.
Les multiples causes du phénomène sont bien connues : augmentation très forte de la demande provoquée par les pays en voie de développement, appels d'offres hospitaliers mal calibrés, prix trop bas pour certains médicaments tombés dans le domaine public et, au cours des derniers mois, demande exacerbée par la crise. La France en a particulièrement souffert. En matière de production de médicaments, nous avons fait le choix, depuis de nombreuses années, de dépendre excessivement et dangereusement de pays situés hors du continent européen.
D'après l'inspection générale des affaires sociales – IGAS – , de 60 % à 80 % des principes actifs des médicaments que nous consommons sont produits hors de l'Union européenne. Les laboratoires ont délocalisé leur production hors de notre pays, et même hors d'Europe, là où les coûts de production sont inférieurs, et les réglementations moins contraignantes.
Désormais, nous sommes tous d'accord pour considérer que cela ne peut pas continuer ainsi. Il est inconcevable que la santé des Français dépende de l'Inde et de la Chine. Nous devons revoir nos paradigmes. Les logiques de profit ne peuvent prévaloir sur la santé de nos concitoyens. Nous devons rapidement faire un choix entre la recherche de la rentabilité et la santé des Français. J'espère que nous privilégierons la santé de la population.
Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a pris des mesures de rationalisation et de centralisation, pour faire face à l'urgence. Ainsi, la réponse apportée à la pénurie de médicaments n'a été qu'une réponse de crise, de très court terme. Nous ne pouvons en aucun cas nous en satisfaire pour l'avenir. Nous devons traiter le sujet de la production des principes actifs, ainsi que celui des spécialités pharmaceutiques. On dénombre plus de 2 800 principes actifs et de 15 000 à 20 000 spécialités pharmaceutiques. Il faudra donc prioriser, notamment les produits dont la pénurie menace.
Sommes-nous capables de réaliser une telle photographie très précise de la chaîne du médicament, afin d'identifier les fragilités susceptibles d'entraîner des tensions ? Pour chaque médicament, il faut a minima connaître le nombre de laboratoires titulaires de l'autorisation de mise sur le marché, le nombre de fournisseurs de principes actifs, le nombre de sites de production, le nombre de sites de façonnage, le pourcentage de fabricants situés hors de l'Union européenne, l'historique des pénuries et le taux de croissance de la demande. Monsieur le secrétaire d'État chargé des retraites et de la protection de la santé des salariés contre l'épidémie de covid-19, ma première question est simple : sommes-nous capables d'obtenir ces données et de les exploiter au mieux ? Autrement dit, l'ANSM a-t-elle les moyens de nos ambitions ?
Seconde question : lorsque j'ai interrogé Mme Buzyn au mois de février dernier, elle m'a répondu qu'une réflexion sur la production et la souveraineté européennes était engagée au niveau européen. Où en sommes-nous ? S'il faut à l'évidence relocaliser la production de certains principes actifs et de certains médicaments, il faut également dissuader les entreprises de procéder à des délocalisations qui, à l'heure où je parle, ont encore lieu – tel est le cas par exemple de l'entreprise Luxfer, située dans le Puy-de-Dôme. De plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer ces délocalisations à outrance, qui mettent en danger la vie de nos concitoyens. La question est complexe. Notre réflexion doit être globale. Il s'agit d'une question sanitaire, mais aussi d'une question économique et environnementale. Nous devons conserver à l'esprit cet état de fait.