Je remercie nos collègues du groupe Socialistes et apparentés d'avoir inscrit ce thème à notre ordre du jour. La question de l'indépendance sanitaire est plus que jamais d'actualité. Que le covid-19 nous ait frappés violemment le rappelle à chacune et à chacun d'entre nous.
Depuis le mois de mars dernier, nous avons constaté d'importants manques de curare, d'hypnotiques, de corticoïdes et d'antibiotiques, qui ont contraint certains médecins réanimateurs à modifier leurs protocoles. La médecine de réanimation a été très fortement touchée, avec des surconsommations allant jusqu'à 2 000 %. L'indisponibilité de ces médicaments est devenue chronique pour certaines pathologies, ajoutant une chronicité à une autre.
Il en résulte des conséquences sanitaires. On évoque souvent l'indépendance de la France en matière de défense et en matière énergétique. L'indépendance en matière de santé me semble être une exigence absolue. À ce sujet, un très bon rapport a été publié par le sénateur Jean-Pierre Decool, qui déplore « un gaspillage de temps médical et logistique » et rappelle quelques vérités. Ce rapport n'a que deux ans, mais il mérite largement, me semble-t-il, d'être relu.
Le phénomène s'est aggravé au cours des dernières années. Paul Christophe a rappelé avec une extrême précision – chirurgicale – les raisons des ruptures d'approvisionnement en médicaments. Au demeurant, nous avons souvent abordé cette question dans cet hémicycle.
Nous pouvons en dire autant de la sérologie. Pourquoi les centres nationaux de référence – CNR – ne valident-ils pas les tests sérologiques, comme nous souhaitons qu'ils le fassent ? Parce que les machines utilisées viennent de Chine. Voilà la brutalité des choses ! Pourquoi Abott et Pasteur sont-ils en compétition ? Parce que le dernier laboratoire de recherche sous contrôle français, Sanofi, a été racheté par les Américains. Voilà ce que nous savons ! Voilà ce que nous osons dire, car nous sommes le Parlement. Ici, nous devons faire preuve d'une exigence de vérité.
Nous avons un défi essentiel à relever. Nous ne pouvons plus nous satisfaire du fait que les médicaments que nous consommons soient produits en Inde, en Chine et aux États-Unis, souvent à bas coût. Quatre-vingts pour cent des substances pharmaceutiques utilisées au sein de l'Union européenne sont fabriquées hors de ses frontières. Ce seul chiffre, me semble-t-il, devrait ramener chacun d'entre nous à la raison. Qui n'a jamais pris de paracétamol ? Il n'est plus produit en Europe depuis douze ans : dépendance totale !
Plus que jamais, une véritable stratégie et un pilotage industriel s'imposent. J'arrive d'une audition menée dans le cadre de la mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-Covid-19. Nous avons débattu de la nécessité de la réindustrialisation. Le Président de la République et Mme Merkel ont indiqué que nous allons peut-être mobiliser 500 milliards d'euros. Je forme le voeu que nous nous montrions capables, à l'échelle de l'Europe ou de la France, d'édifier une industrie du médicament puissante, dans une visée non seulement défensive, mais aussi offensive, tant la facture a été lourde au cours des dernières années. À présent, nous réglons une facture financière, mais aussi une facture humaine. Pour certaines thérapeutiques applicables aux maladies chroniques, je puis confirmer que nous souffrons de ruptures de médicaments depuis longtemps.
Il faut élaborer une stratégie industrielle. Le Gouvernement n'est pas responsable de tout, tant s'en faut ! Depuis dix ans, progressivement, dans chaque PLFSS, on a rogné les ailes de ces grands laboratoires, qui finissaient par donner tant d'argent qu'ils ne faisaient plus de recherche. Dès que ces grands laboratoires connaissaient une croissance de 7 % ou de 10 %, il fallait vite faire en sorte qu'ils aient moins. Au bout d'un moment, c'était terminé : la recherche s'en allait et les profits diminuaient. Conséquence : totale dépendance !
Il est vrai que le PLFSS 2020 comporte une disposition – je m'en souviens pour l'avoir défendue – obligeant les laboratoires à constituer des stocks de quatre mois, mais elle n'entrera en vigueur qu'en juin 2020, soit dans un mois et demi ! Cela ne fonctionne pas ! Sur ce point, l'accord est transpartisan, me semble-t-il : des erreurs ont été commises avant-hier, hier et aujourd'hui ; faisons en sorte de ne pas en commettre demain !
Ce matin, nous avons eu la grande fierté d'entendre sur une grande radio qu'un Français allait probablement piloter une nouvelle stratégie vaccinale. Mais cette fierté a un coût : nous devons avoir le courage politique de défendre cette action au niveau français comme au niveau européen. On le doit bien à tous ceux qui sont morts, à tous ceux qui luttent pour la vie, et à tous ceux qui lutteront dans les prochaines années.