Une large gamme de médicaments est périodiquement introuvable. Presque toutes les classes thérapeutiques sont touchées par le phénomène. Un Français sur quatre a été confronté à une pénurie de médicaments et la même proportion s'est vue refuser la délivrance d'un vaccin ou d'un médicament pour cause de pénurie. Certaines ruptures de stock ont des conséquences directes sur les chances de guérison des malades.
Le Gouvernement fait valoir que le phénomène ne date pas d'aujourd'hui. Entre 2008 et 2018, les ruptures de stocks signalées ont été décuplées. En 2019, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a relevé l'indisponibilité ou des tensions sur l'approvisionnement de plus de 1 200 médicaments, soit 60 % de plus qu'en 2018.
Les problèmes existaient déjà il y a plusieurs années, mais ils revêtaient un caractère exceptionnel. L'épidémie de Covid-19 a mis en lumière les dangers d'une dépendance quasi-totale de la France vis-à-vis de l'Asie pour la production d'ingrédients pharmaceutiques, ce que l'on appelle les principes actifs. Celle-ci concerne non seulement les médicaments de confort, mais aussi les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, pour lesquels il n'existe aucune alternative thérapeutique suffisante, alors qu'une interruption de traitement peut engager le pronostic vital des patients. Les ruptures peuvent durer plusieurs semaines – on se souvient des dérivés de la cortisone et de certains antibiotiques.
Les tentatives du Gouvernement pour limiter la détérioration observée sont très insuffisantes. Un comité de pilotage, chargé de la stratégie de prévention et de lutte contre les pénuries de médicaments et présidé par M. Biot, a été installé en septembre dernier afin de sécuriser la chaîne de production et de distribution du médicament. Mais nous attendons encore des mesures concrètes et dissuasives. Certes, nous avons adopté, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, l'obligation pour les titulaires d'autorisation de mise sur le marché et les exploitants de constituer un stock de sécurité destiné au marché national, et implanté sur le territoire français ou communautaire, mais cette nouvelle obligation n'est pas encore entrée en vigueur.
L'article 18 de l'accord-cadre entre les entreprises du médicament et le Comité économique des produits de santé – CEPS – , relatif à la prise en compte dans le prix des investissements réalisés dans l'Union européenne, n'est toujours pas appliqué alors qu'il est très attendu par les industriels.
L'épidémie a rendu la situation très alarmante, car elle a fait naître des tensions extrêmes. Nous avons notamment connu des ruptures en cascade de médicaments utilisés en soins intensifs, en particulier des relaxants musculaires, des antibiotiques et des anesthésiants. Le 27 mars, la direction de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris – AP-HP – recommandait de rationaliser l'utilisation des produits anesthésiques. Le 30 mars, les collectifs interhôpitaux et interurgences ont saisi sans succès le Conseil d'État pour demander les réquisitions nécessaires. Le 1er avril, neuf centres hospitaliers universitaires européens, dont l'AP-HP, ont appelé leur gouvernement respectif à une meilleure collaboration européenne. Au pic de la crise, il était difficile de procéder à des répartitions de stocks intra ou interrégionales comme le préconisait la direction générale de la santé puisque les tensions étaient générales. Vous-même, monsieur le ministre, parliez, par euphémisme, d'une rationalisation de la consommation de plusieurs produits de santé.
Santé publique France est contrainte de gérer les pénuries au lieu de les prévenir. Aussi conviendrait-il de placer auprès du Premier ministre une instance nationale d'anticipation des ruptures d'approvisionnement chargée de définir une stratégie nationale pour mettre fin à ces dernières.
Enfin, les tensions ne concernent pas seulement l'approvisionnement mais aussi la production. Pour qu'un fabricant français puisse vivre de son activité en France, il faudrait veiller aux prix – ce ne sont pas les projets de loi de financement de la sécurité sociale successifs qui y ont aidé. L'Europe importe aujourd'hui 80 % des principes actifs utilisés dans les médicaments, essentiellement depuis la Chine ou l'Inde.
Monsieur le ministre, je vous propose de créer un leader européen dédié à la production et à la commercialisation des principes actifs pharmaceutiques – ce projet est dans les cartons de l'entreprise Sanofi. Ce serait un véritable choix stratégique que de créer une nouvelle entité autonome, dont le siège serait en France, qui deviendrait le numéro deux mondial du marché. Le comité de pilotage précité semble regarder ce projet d'un oeil favorable.