Intervention de Adrien Quatennens

Séance en hémicycle du mardi 26 mai 2020 à 15h00
Reconnaissance aux soignants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAdrien Quatennens :

Tout ce qui peut, tout ce qui pourra constituer une marque de reconnaissance et d'affection de la nation tout entière à l'égard de ces femmes et de ces hommes en première ligne face à cette cochonnerie de virus qui nous empoisonne l'existence depuis des mois sera bienvenu. En conséquence, nous voterons la proposition de résolution.

Si nous ne partageons pas la terminologie guerrière employée par le Président de la République, nous devons bien reconnaître une forme de cohérence dans votre volonté de créer un statut spécifique de reconnaissance nationale pour les enfants de soignants décédés du covid-19, sur le modèle du statut de pupille de la Nation. Cette qualité est en effet reconnue aux enfants dont l'un des parents au moins est décédé lors d'une guerre. Ce statut a été étendu notamment à certaines victimes d'actes de terrorisme. Il donne accès à différents droits : aide à l'éducation, aide financière, emplois réservés, accompagnement pour une reconversion professionnelle.

Toutefois, chers collègues, ne nous y trompons pas : d'abord, ce n'est pas une guerre, c'est un virus, une épidémie ; ensuite, soyons plus exacts, nous ne combattons pas seulement un virus – le dire, c'est commettre une sérieuse erreur de diagnostic – , nous combattons les effets d'un virus sur un modèle économique et politique issu de choix dont les responsables ont des noms et des adresses. Tout cela ne tombe pas du ciel. Ces choix politiques nous ont mis en situation de plus grande vulnérabilité, d'extrême fragilité face au virus.

La crise du coronavirus, c'est l'échec d'un modèle tout entier. C'est l'échec de ceux qui ont préféré le libre marché et le laisser-faire à l'État et à la planification. C'est l'échec de ceux qui ont préféré le grand déménagement du monde à la relocalisation de secteurs et de productions essentiels. C'est l'échec de ceux qui ont choisi la généralisation de la concurrence et de la compétition de chacun contre tous plutôt que des cadres de coopération. Quels enseignements en tirez-vous, à l'heure où tout porte à croire que votre seul objectif est de reprendre le cours de votre histoire et de votre politique, comme si rien ne s'était véritablement passé ?

Il y a un peu plus de dix ans, souvenez-vous en, nous faisions face à une crise financière inédite, à l'issue de laquelle un autre président nous avait émus par un discours annonçant la fin du capitalisme sauvage et de ses dérives. Quelles leçons ont été retenues ? Demain, nous aurons à connaître d'autres crises, d'une autre nature mais sans doute de même, voire de plus grande ampleur. Songez par exemple aux conséquences du changement climatique, alors que nous connaissons une nouvelle fois des records de chaleur. Si « après la crise » devait être comme « avant la crise », il faudrait alors étendre à l'infini le statut de pupille de la Nation. S'agit-il de se donner bonne conscience ? Faut-il attendre les catastrophes pour agir ?

Les soignants, bien sûr, et d'abord eux, cela va sans dire. Mais combien d'autres oubliez-vous à cet instant dans votre résolution, collègues ? Voyez ces femmes et ces hommes qui perçoivent généralement les plus petites payes, qui sont bien trop souvent invisibles, qui se lèvent aux aurores, prennent les transports en commun, amènent leurs gosses à l'école et vont accomplir toutes ces tâches sans lesquelles c'est nous qui ne sommes rien. Avions-nous vraiment besoin du coronavirus pour nous en rendre compte ?

À cet instant, bien sûr, je pense comme vous aux dizaines de soignants tombés à cause du covid-19. Néanmoins, notre premier devoir n'est pas de promettre aux soignants que leurs enfants disposeront d'un accompagnement de l'État s'ils tombent ; notre premier devoir, celui de l'État, est de réunir les conditions pour qu'ils ne tombent pas. De plus, je pense aussi à Aïcha Issadounène, hôtesse de caisse ; à Franck, intérimaire d'Adecco en mission chez Framatome ; à Florent Kivouvou ; à Yves Devisse, au CHU d'Amiens ; à Khaled Boulahia. Collègues, puissiez-vous étendre le champ de votre résolution à l'ensemble de ces familles endeuillées par la rencontre avec le covid-19 dans l'exercice de l'activité professionnelle !

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