Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mardi 26 mai 2020 à 15h00
Droits des travailleurs et accompagnement des familles après le décès d'un enfant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Je l'ai dit et ne peux que le répéter, nous parlons de la tragédie des tragédies : perdre son enfant, c'est la nature qui s'inverse. Rien que d'y songer, je frémis : c'est une angoisse qui nous saisit et un trou noir qui nous prend au ventre.

Aussi, je nous espère unis sur ce texte, sans polémique, sans presque de politique, comme nous aurions pu et dû l'être dès le premier jour. Je ne veux pas rappeler les épisodes précédents – les propos sur la générosité un peu facile et la pénalisation des entreprises – , car je suis sûr, mesdames et messieurs les députés, madame la ministre, que vous les regrettez.

Qu'importe le chemin ! Qu'importe qu'il ait fallu que l'opposition de droite et celle de gauche crient leur honte, que le président du MEDEF en appelle à notre humanité, et à sa suite, le Président de la République ! Qu'importe, pourvu qu'à la fin cette humanité l'emporte.

On pourrait même ajouter qu'il s'agit d'un mal pour un bien, car le Sénat a enrichi le texte, en étendant son champ aux agriculteurs, aux fonctionnaires, aux indépendants et aux enfants jusqu'à vingt-cinq ans. Nous voterons le texte sans barguigner.

Nous avons participé au petit-déjeuner, organisé à la questure de l'Assemblée nationale, avec la Fédération « Grandir sans cancer » : quelle est la priorité des parents ? Quelle est leur principale demande, non pas après le deuil, mais avant le décès de leur enfant, durant la maladie, souvent longue et toujours terrible ?

Sophie Combe nous a livré ce témoignage : « On a appris le sarcome de Renan en septembre 2017, alors qu'il avait huit ans. Je travaillais comme infirmière libérale, mère seule avec trois enfants. Je n'ai pas eu le choix, j'ai dû arrêter de travailler. De Clermont-Ferrand, il a fallu m'installer du jour au lendemain à Nice. Nous avons séparé la fratrie, et j'ai quitté mes deux autres enfants. Il a fallu trouver un hébergement et payer un logement. J'ai arrêté de travailler, j'ai été couverte pendant quelque temps, mais, on doit le dire, grâce à des certificats médicaux de complaisance faisant état d'un syndrome dépressif. Mais je n'étais protégée que six mois, alors que le combat allait en durer seize. Tout cela a un coût. Comme Renan ne pouvait pas se déplacer, j'ai fait venir son frère et sa soeur à Nice pour Noël. Là aussi, ce sont de dépenses ! On entre dans un cercle vicieux. Heureusement, j'avais des économies, certes modestes, mais qui m'ont permis de tenir. Mon association aide les familles, car la perte d'un emploi, parfois des deux de la famille, vient s'ajouter aux difficultés de santé. Tout cela devrait être pris en charge par la solidarité. » Voilà pour le volet financier !

Pour le volet administratif, Sophie Combe poursuivait ainsi : « On ne sait rien, on est très peu accompagné, on ne nous dit pas à qui nous adresser. On se heurte à des refus de la caisse d'assurance maladie qu'on ne comprend pas. Ensuite, la constitution et le traitement des dossiers avec les assistantes sociales de secteur prennent beaucoup de temps. Il faut attendre six mois pour une réponse du département ! Ce n'est pas possible dans de telles circonstances ! Quand l'issue fatale est connue, on n'a pas envie de perdre du temps avec cela. On nous dit de profiter de chaque moment, alors quoi ? Alors, j'ai laissé plein de choses de côté, parce que je ne pouvais pas m'en occuper. On n'a pas le temps de faire tout cela, on est obnubilé par la maladie. » Sophie Combe concluait ainsi : « On dit que l'enfant est pris en charge à 100 %, mais qu'est-ce que cela veut dire ? Il faudrait un "100 % réel" pour tout. »

Des témoignages semblables, vous en avez entendu comme moi, et ceux de Sonia, de Jessica ou de Stéphane nous enjoignent comme les autres à modifier l'état du droit : alors qu'ils doivent affronter la plus terrible des épreuves, voir lentement s'éteindre leur enfant, alors qu'ils s'efforcent de lui apporter, dans l'urgence de la mort qui approche, les plus belles joies, de vivre le présent, de retenir les instants pour les inscrire dans leur mémoire blessée, faut-il qu'on les emmerde – pardonnez mon langage franc – avec des dossiers à remplir et des aides à obtenir ? Doivent-ils, en plus de leur drame, trembler pour leur métier, peiner pour leur loyer, redouter les huissiers ? Doivent-ils en être réduits à monter des associations et à lancer des cagnottes Leetchi, à compter sur la débrouille et sur la générosité des réseaux sociaux ? Faut-il ajouter à leur calvaire un chemin de croix bureaucratique et économique ?

Voici le chemin que nous devons emprunter demain : il s'agit qu'aussitôt la maladie médicalement reconnue et déclarée, soit assurée une prise en charge à 100 %, sans hésiter, sans chipoter. Je regrette que la présente proposition de loi n'ait pas intégré cette disposition et que nos amendements en ce sens aient été déclarés irrecevables. Je le regrette, mais j'espère que nous pourrons accomplir ensemble demain ce progrès humain. J'espère surtout, mesdames, messieurs de la majorité, sans trop y croire, que ce texte ne sera pas l'exception qui confirme la règle ; j'espère que, dans l'après qui s'ouvre, la vie l'emportera sur l'économie.

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