Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mercredi 27 mai 2020 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative aux innovations numériques dans la lutte contre l'épidémie de covid-19 suivie d'un débat et d'un vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

La loi du 11 mai dernier a autorisé la création de deux systèmes d'information afin de rassembler les données permettant d'identifier et de répertorier les personnes malades du covid-19. Si elle a été validée par le Conseil constitutionnel, elle n'en comporte pas moins des dispositions qui heurtent de grands principes.

Le Gouvernement nous demande de nous prononcer sur un dispositif opérationnel destiné à les compléter. Il s'agit d'une application de traçage automatisé des contacts. Si le Gouvernement nous interroge aujourd'hui à son sujet, je tiens à rappeler qu'il s'est montré fermé, il y a quelques jours, lors de la discussion sur les principes de traçage qu'autorise désormais la loi : alors que bon nombre d'amendements visaient seulement à rappeler des principes de droit médical et de protection des données personnelles, un refus net a été opposé aux députés et aux groupes qui s'attachaient à ne pas déroger au droit commun. Accepter des amendements qui rappellent des principes, ce n'est pas dénaturer un texte, chers collègues, ni affaiblir l'exécutif : c'est le corollaire de la prise de décision collective, particulièrement dans les conditions actuelles. Ce point n'est pas sans rapport avec le sujet que nous sommes en train de discuter : puisque l'on a refusé hier d'affirmer nos principes communs, on peut s'interroger sur un dispositif qui vient compléter les deux systèmes en place.

L'exécutif sollicite notre vote qu'il sait acquis en raison du fait majoritaire. La CNIL a émis un avis favorable au projet de décret avec, il est vrai, quelques conditions. En période de peur et d'émotion, il est difficile de s'opposer ou d'alerter ; c'est pourtant le devoir d'une opposition responsable car plusieurs problèmes techniques, juridiques et éthiques se posent.

La mise en service de ce dispositif repose sur son efficacité présumée. En réalité, il faudrait que toutes les personnes soient diagnostiquées régulièrement pour que le risque soit identifié en amont. Il faudrait atteindre 80 % des citoyens dotés d'un téléphone mobile connecté par Bluetooth pour espérer un traçage efficace. Or, nous le savons, toute la population n'est pas équipée d'un téléphone mobile : les estimations tournent autour de 75 %. Le chiffre est inférieur pour les personnes les plus âgées, qui sont a priori les plus exposées : moins de 50 % pour les plus de 70 ans.

Par ailleurs, en zone très dense, il existe un risque de nombreux faux positifs. Le téléchargement reste volontaire et le fait que nul n'ait l'obligation d'emporter constamment son téléphone mobile avec soi – et heureusement – est de nature à faire douter de l'efficacité de l'application. À l'inverse, le sentiment de fausse sécurité que l'application peut donner en laissant croire que l'on trace les porteurs de la maladie et leurs contacts et que l'on maîtrise la chaîne de contamination pourrait se révéler contre-productif. Cela, alors que bon nombre de nos concitoyens restent préoccupés par l'approvisionnement en masques, encore parfois difficiles à trouver et au prix élevé.

Je note également que l'application ne sera disponible que plus de quinze jours après le début du déconfinement, ce qui rend d'autant plus légitimes les interrogations sur le bien-fondé éthique et juridique d'un tel suivi : l'objet de l'application étant d'alerter les personnes ciblées, elle va donc à l'encontre du respect de l'intimité, de la vie privée et de l'anonymat. Qu'on le veuille ou non, les personnes visées seront un peu plus transparentes : les mesures de suivi numérique et la constitution de fichiers mentionnant où sont logés les utilisateurs sont, par nature, susceptibles de présenter un risque d'atteinte aux droits des autres.

Un nouveau type de surveillance individuelle sera rendu possible, sans qu'on sache s'il est nécessaire et, de surcroît, efficace pour circonscrire la pandémie. En effet, bien des pays moins outillés que le nôtre sur les plans technologique et sanitaire semblent s'être montrés beaucoup plus efficaces. Il n'y a pas de technologie sans risque : les données collectées pourront être – et seront – partagées sans le consentement des personnes intéressées. C'est donc une expérimentation grandeur nature, et rien ne dit que son objet, restreint, ne sera pas élargi demain en réaction à un nouveau péril ou événement grave que l'on n'aura pas su anticiper ou gérer en amont. À tout le moins, l'instauration d'un tel dispositif, que l'on s'apprête à généraliser, aurait mérité une expertise préalable, collective, transparente et contradictoire, mais cela n'a pas été et ne sera pas le cas. Vous comprendrez que, pour toutes ces raisons, les députés socialistes voteront contre le principe d'une telle application dont l'efficacité n'est pas assurée et qui ne garantit pas le respect des droits des individus.

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