Nos craintes se fondent sur plusieurs arguments : l'enseignement tiré des expériences des autres pays qui ont eu recours à cette technologie, qui s'est révélée inefficace, mais aussi la conviction profonde de plusieurs d'entre nous quant à sa dangerosité et à l'irréversibilité de son usage. La France aborde le débat sur le traçage numérique à rebours de son développement dans le monde, et il est donc important de prendre en considération les retours d'expérience. Dans aucun des pays où elles ont été déployées, ces applications n'ont entraîné d'effet positif de nature à atteindre le but poursuivi, à savoir la recherche de cas contacts ; aucune n'a atteint le seuil de téléchargement utile, qui est de 60 % – même si, vous l'avez dit, ce chiffre reste discutable.
Prenons d'abord le cas de la République tchèque, le pionnier européen en la matière : 1 % de téléchargements. En Autriche, où 6 % des 8,8 millions d'habitants ont téléchargé l'application, les médecins estiment, d'une façon définitive, qu'elle ne sert à rien. En Islande, les pouvoirs publics sont parvenus à faire télécharger l'application à 40 % des 370 000 insulaires, avant d'admettre l'inefficacité du dispositif. Même un des plus convaincus, M. Jason Bay, chef du produit de l'application « TraceTogether », qui n'a été téléchargée à Singapour que par 20 % d'une société pourtant technophile, a été contraint d'admettre : « Si vous me demandez si un système de contact Bluetooth déployé ou en cours de développement, partout dans le monde, est prêt à remplacer le suivi manuel des contacts, je répondrai sans réserve que la réponse est non. » D'ailleurs, la République de Singapour n'a-t-elle pas été contrainte de procéder au confinement malgré le traçage des cas contacts, solution initialement jugée comme miraculeuse ? Il y a quelques jours, et alors que 6 millions d'Australiens avaient téléchargé l'application, les pouvoirs publics ont eux-mêmes admis qu'elle n'avait permis d'identifier qu'un seul – je dis bien : un seul – cas contact. Ainsi, même rapide, l'examen des expériences étrangères laisse perplexe. Pourquoi ces applications sont-elles inefficaces ?
Tout d'abord, leur efficacité repose sur un usage tellement massif qu'il est inatteignable sur la seule base du volontariat. Jusque dans les rangs de la majorité, des collègues doutent ainsi de l'efficacité de l'application dans ces conditions et auraient préféré qu'elle soit rendue obligatoire. Je ne partage par leur opinion mais respecte ceux qui l'expriment. L'utilisation de l'application est encore plus hasardeuse chez les personnes âgées, principales victimes du virus et sous-équipées en smartphones ou en objets connectés.