Aujourd'hui, 27 mai 2020, cela fait soixante-dix jours que le Gouvernement a pris, pour la première fois dans notre histoire récente, la lourde décision d'exiger de tous les Français de rester strictement confinés, de se couper de leur entourage, de cesser leurs activités, plongeant le pays entier et toute notre économie dans un sommeil forcé. Ce choix était indispensable, parce que l'épidémie de covid frappait la France de manière fulgurante, se propageait à la vitesse de l'éclair et tuait des milliers de nos compatriotes tout en exerçant une pression terrible sur nos soignants, nos personnels paramédicaux, les aidants et tout le système de santé.
Chacun d'entre nous a vécu ces étapes dans la peur terrible de l'inconnu. Cette peur s'est accompagnée d'un immense sens de la responsabilité. Responsabilité politique, car nous avons été nombreux à vous doter sans sourciller des pouvoirs exceptionnels que la situation exigeait et à vous renouveler cette attribution ; responsabilité individuelle, car les Français consentent depuis de longues semaines à des sacrifices en termes de libertés individuelles, avec la pleine conscience que c'est indispensable ; responsabilité collective, tant les choix qui ont été faits, en matière économique notamment, sont lourds de conséquences qu'il nous faudra assumer.
À ce jour, plusieurs moyens de protection sont à l'oeuvre sur le plan sanitaire : le port du masque, qui a suscité tant d'atermoiements, surtout parce que l'impréparation de notre pays en a privé un grand nombre de Français pendant très longtemps ; les gestes barrières et de nouvelles habitudes en matière d'hygiène ; les contraintes de distanciation sociale ; les tests, enfin disponibles, qui permettent de repérer ceux d'entre nous qui sont atteints par le virus et donc contagieux afin de contenir l'épidémie. Avec ces tests est arrivée la question du ciblage des personnes contacts et de leur information, assurés depuis plusieurs jours par des brigades territoriales. Tout cet arsenal, nous l'avons appelé de nos voeux. Il est nécessaire à notre santé et doit nous permettre de ne pas revivre ce que nous avons vécu.
Vous nous interrogez aujourd'hui sur un autre dispositif : cette fameuse application mobile, censée permettre de repérer a posteriori, au moment où la contamination est avérée, les personnes avec lesquelles un individu a été en contact rapproché au moyen de l'historique des connexions Bluetooth, réputées anonymes.
Un tel outil peut sembler ne faire que compléter la palette des mesures existantes. Il soulève néanmoins plusieurs questions, rappelées au cours de ce débat et dont aucune n'a trouvé de réponse à cet instant, et d'abord sur le plan technologique. Hier encore, monsieur le secrétaire d'État, vous me répondiez que l'applicatif proposé serait compatible avec environ 80 % des modèles de téléphones, à l'exclusion des appareils les plus anciens et les plus rudimentaires, qui ne sont pas équipés de la technologie Bluetooth. Celle-ci présente elle-même beaucoup de limites ; elle manque notamment de précision en termes de distance par rapport aux autres terminaux, ce qui rend son utilisation à des fins sanitaires très discutable.
Sur le plan du déploiement, ensuite, deux points sont source de questionnements. Comment mesurer l'efficacité d'un tel outil dès lors qu'il sera nécessairement facultatif dans son usage, sélectif du fait de son incompatibilité avec certains terminaux et parce que nombre de personnes n'y auront pas accès, soit qu'elles n'aient pas le bon appareil, soit qu'elles n'en aient pas du tout, soit qu'elles vivent en zone blanche, et imparfait sur le plan technologique ? Comment justifier une introduction aussi tardive, alors que nous sommes sortis du confinement, que les autres mesures sont en cours de déploiement et que tout indique que l'épidémie fléchit ? Il aurait fallu le développer plus tôt : beaucoup de pays voisins y renoncent d'ailleurs pour cette seule raison.
Sur le plan éthique enfin, il paraît plus que difficile, en dépit de l'avis de la CNIL – à cet égard, nos débats de cet après-midi ont permis de pointer avec une particulière acuité la persistance de zones d'ombre – , d'être véritablement assuré que les garanties individuelles, l'anonymat et le droit à l'oubli seront respectés et que les données seront effacées une fois qu'elles n'auront plus d'usage.
Pour toutes ces raisons, et après y avoir longuement réfléchi, comme d'autres parlementaires ici présents, je ne pense pas que StopCovid soit susceptible d'apporter quoi que ce soit à notre volonté conjointe de lutter contre la pandémie. Je considère donc que son déploiement n'est pas souhaitable.