Intervention de Jérôme Lambert

Séance en hémicycle du mardi 2 juin 2020 à 15h00
Accord de coopération avec l'inde sur le trafic illicite de stupéfiants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Lambert :

Nous examinons aujourd'hui le projet de ratification de l'accord entre la France et l'Inde découlant des négociations débutées en 2013 et qui ont finalement abouti à la rédaction de la convention signée en 2018. Si l'accord traite de la consommation et du trafic de drogues, il concerne de manière plus large celui des substances psychotropes, comme celles contenues dans certains médicaments tels que les antidépresseurs. La convention prend aussi en compte les composés chimiques utilisés pour la fabrication de stupéfiants et dont l'utilisation, a priori licite, est détournée afin de fabriquer des substances illicites.

Le trafic de stupéfiants est un des fléaux de notre société. Selon un rapport publié par l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, la France était en 2019 le pays d'Europe où la prévalence de la consommation de cannabis était la plus élevée chez les jeunes et les adultes. En 2017, les saisies de cocaïne ont atteint un niveau record de 140 tonnes en Europe. En France, elles ont été de 17 tonnes en 2017 et de 15 tonnes en 2019.

Selon un rapport de l'ONU de 2019, 35 millions de personnes dans le monde souffrent de troubles liés à l'usage de drogues – soit beaucoup moins que le nombre total de consommateurs – ce qui fait 30 % de plus qu'en 2009. En Europe, le coût social de la consommation de drogues illicites est estimé à 8,8 milliards d'euros par an.

Si l'Inde, partie à la présente convention, joue un rôle majeur dans le commerce de stupéfiants, ce pays est aussi et surtout un acteur stratégique du monde contemporain. L'Inde est le deuxième pays le plus peuplé du monde et la cinquième puissance économique mondiale, spécialisée dans le secteur des services et de l'industrie, notamment électronique et pharmaceutique. Dans un contexte de mondialisation accrue, ce pays joue un rôle primordial sur les marchés mondiaux et s'affirme comme une grande puissance exportatrice. L'Inde est aussi le premier pays producteur de médicaments génériques au monde et connaît pour cette raison d'importants trafics et détournements de médicaments vers la Birmanie, l'Afrique ou le Moyen Orient.

En Inde même, la consommation de stupéfiants augmente, même si cette augmentation reste relativement faible proportionnellement à la France. Néanmoins, c'est avant tout parce qu'elle est un lieu de transit des matières illicites en provenance des pays du Triangle d'or – Birmanie, Laos, Thaïlande – et du Croissant d'or – Iran, Afghanistan, Pakistan – que l'Inde joue un rôle stratégique en la matière. L'Inde est l'une des routes principales du trafic d'héroïne vers la Chine, l'Asie du Sud-Est mais aussi l'Amérique du Nord et l'Australie. Pour ce qui est de la France, seules les drogues de synthèse empruntent cette route.

La présente convention, par-delà la prévention de la consommation de stupéfiants et autres psychotropes, est surtout l'occasion pour la France de lutter contre la criminalité transnationale et d'entraver le fonctionnement des principaux groupes terroristes régionaux d'Afghanistan et du Pakistan, pour qui la drogue constitue une importante ressource financière. Rappelons que l'Inde est impliquée, tout comme la France, dans la lutte contre le terrorisme qui la frappe de plein fouet – on se souvient des attentats de Bombay en 2008. L'accord est aussi un moyen de renforcer la lutte contre la fraude médicamenteuse, pour laquelle un poste d'attaché douanier pour l'Asie du Sud-Est a été créé en 2018 à Bangkok.

En elle-même, en prévoyant une coopération policière plus étroite, la présente convention va plus loin que les précédentes conclues en ce domaine depuis le début des années 60. L'accent est mis sur les moyens techniques et opérationnels, dans le respect des libertés publiques et, chose importante, de la protection des données personnelles et dans la limite du droit des États parties à la convention. Ainsi l'accord vise-t-il à prévenir et lutter contre le trafic de drogues et des composants chimiques, à contrôler et surveiller la production de ces derniers, à faire de la prévention de la consommation de drogues via des campagnes de sensibilisation auprès de la population et à conduire des politiques publiques, sanitaires et sociales en faveur des personnes sous l'emprise de substances illicites. Il prévoit aussi la création d'un groupe de travail chargé de contrôler et d'évaluer les activités réalisées dans le cadre de l'accord.

Finalement, cette convention sera l'occasion d'intensifier la relation stratégique entre l'Inde et la France, relation déjà marquée par le lancement en 1998 d'un partenariat stratégique orienté vers la défense, la sécurité, le spatial et le nucléaire civil. Ce partenariat a été conforté en 2016 par la signature par l'Inde d'un contrat d'acquisition de trente-six avions Rafale.

L'Inde se révèle un acteur privilégié de la lutte contre la consommation illicite et pour la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de composants chimiques, d'abord parce qu'elle joue un rôle décisif du fait de sa position géographique mais aussi en raison de son dynamisme démographique. La présente convention ne peut être que bénéfique, d'autant qu'elle n'engendrera que des charges financières limitées pour les services français et n'entraînera pas la création de nouvelles structures.

Le groupe Socialiste et apparentés approuve donc les termes de cet accord.

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