Si l'on mesure la part de modestie de cette réponse, elle introduit ou réintroduit sans fard le sujet sur lequel devraient porter notre réflexion et nos propositions : les moyens de l'hôpital, pour bien soigner, bien travailler et bien vivre.
Bien sûr, chacun espère que le Ségur de la santé apportera des réponses à la hauteur de la situation. Mais avant, il y a eu la loi de financement de la sécurité sociale. Lors de son examen, nous avions présenté un plan d'urgence pour l'hôpital, dont on peut regretter que les propositions n'aient pas fait l'objet de la moindre considération de la part du Gouvernement, celui-ci jugeant qu'il avait fait au mieux.
À l'annonce de votre proposition, le personnel soignant lui-même a ressenti le malaise que je décris et partage. Certains ont eu des mots durs, refusant la charité comme les médailles. La question n'est d'ailleurs pas celle des congés des soignants, puisque, comme vous l'indiquez vous-même dans votre rapport, ils ne pourront pas prendre leurs propres congés, faute de temps et de remplaçants.
La vraie question est celle des effectifs, du nombre de soignants par lit et par malade ; du nombre de ces lits ; de l'investissement, et pas seulement dans les grands chantiers comme l'hôpital Grand Paris - Nord ou le centre hospitalier universitaire – CHU – de Nantes, mais aussi dans tous les services qui ont dû renoncer à des investissements ; c'est aussi celle du niveau des rémunérations. En proposant des chèques-vacances, mesure que nous avons par ailleurs soumise, avec des présidents de région et de département, au Gouvernement, qui ne nous a pas encore répondu, vous prenez acte de ce problème de rémunération.
Il vous faudra aussi, bien sûr, répondre à des questions plus structurelles sur la place de l'hôpital dans son environnement, le pilotage des politiques de santé dans les territoires, la gouvernance et la tarification. In fine, nous aurons à poser la question des moyens que les Françaises et les Français, à travers leurs cotisations, sont prêts à accorder à l'hôpital public : on ne peut pas d'un côté, vouloir moins de cotisations et d'impôts, et de l'autre, plus de services publics.
Mme la ministre a évoqué la question des nouvelles solidarités, dont elle voit, au fond, les ferments dans cette proposition de loi. Or je crois que, plus profondément, votre proposition pose un problème de philosophie, le même qui affleure quand certains ministres refusent le rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF, c'est-à-dire la mise à contribution des hautes fortunes, tout en demandant aux milliardaires de renouveler leurs dons. C'est ne pas comprendre que la solidarité fait partie intégrante de notre contrat social, qu'elle ne s'en distingue pas, qu'elle est indivisible. C'est la philosophie de Léon Bourgeois, telle qu'il la théorise avec le solidarisme, à la fin du XIXème siècle, et telle qu'elle a trouvé corps dans nos institutions sociales. C'est la philosophie qui fonde l'idée que la justice sociale ne peut exister entre les hommes que s'ils sont associés solidairement.
Jean-Jacques Dupeyroux, grand juriste décédé il y a quelques jours à peine, avait cette formule : « la solidarité nationale est un pot commun, où l'on cotise selon ses ressources et où l'on puise selon ses besoins ». Elle ne divise donc pas la société entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. Tous doivent contribuer au régime selon leurs capacités, et tous ont le droit d'en bénéficier selon leurs besoins. Or avec votre proposition, nous ignorons ce qui sera donné, et donc ce qui sera reçu. Combien ? Comment seront monétisés ces jours de congé ? Dans quelles conditions aura lieu la redistribution de ces dons ? Quelles seront les éventuelles mesures fiscales et sociales applicables à ces dons ?
C'est la raison pour laquelle il faut préférer des politiques sociales pour tous, financées par la solidarité nationale, aux incitations à la charité, si généreuses soient-elles.
Oui, les Françaises et les Français qui le peuvent donneront probablement des jours de congé, mais je suis convaincu qu'ils préféreraient une rémunération des soignants à la hauteur de la valeur sociale dont ils ont été les témoins, comme ils préféreraient une contribution des plus riches à l'effort national à d'hypothétiques dons.
Mes chers collègues, en l'état, le compte n'y est pas, et nous ne pouvons soutenir une proposition qui pourrait ressembler – même si vous le démentez, et je crois bien volontiers à votre sincérité – à une forme d'esquive. Intégrez ces questions au Ségur de la santé et au débat avec les partenaires sociaux !