Vous nous proposez d'annuler le second tour des élections municipales et de le reporter au plus tard à janvier 2021, en fixant les modalités d'un nouveau scrutin à deux tours si jamais les élections ne pouvaient se tenir le 28 juin pour des raisons sanitaires en raison de l'épidémie de covid-19. Si vous faites cela, c'est que le 18 mai, le comité scientifique a estimé qu'il était « difficile d'anticiper une situation incertaine pour les semaines à venir » ; il a recommandé de tenir compte de la situation épidémiologique dans les quinze jours précédant la date du scrutin ; il a également souligné « les risques sanitaires importants liés à la campagne électorale ».
La question qui nous est posée n'est pas uniquement celle de la date de l'élection. Le Conseil d'État a ainsi posé une question prioritaire de constitutionnalité afin de vérifier la constitutionnalité du projet de loi. Il y va en effet de la sincérité du scrutin : vous savez comme moi qu'une élection dont les deux tours sont très distants ne peut pas être tout à fait considérée comme une élection normale, de surcroît lorsque cette distance est liée à des conditions exceptionnelles.
Je souhaite surtout aborder la question de la campagne électorale. Vous savez que nous sommes opposés au report au 28 juin du second tour dès lors que vous refusez une campagne « normale ». On a entendu beaucoup de choses à ce sujet. Il a été dit que finalement c'était peut-être mieux, parce qu'une campagne cela coûtait très cher, cela consommait trop de papier, qu'il fallait se contenter d'une campagne numérique, parce que c'était moderne – alors même que, je vous le rappelle, nombre de nos concitoyens souffrent d'une véritable fracture numérique.
Je voudrais pour ma part souligner au contraire la nécessité absolue de faire la campagne la plus poussée possible pour ces élections municipales. Faire campagne, c'est aller chercher les gens les uns après les autres pour essayer de les convaincre. Il n'y a rien de plus dur en politique, et il n'y a rien de plus noble – je le dis en tant qu'élu au suffrage universel d'une circonscription populaire, où la victoire, je peux vous l'assurer, était tout sauf acquise : avant le second tour, il a fallu se battre, faire du porte-à-porte jusque tard dans la nuit, distribuer des tracts… Il y a eu les poignées de main, les engueulades aussi. C'est un moment intense, un moment durant lequel tout un collectif politique et militant se lie profondément avec l'idée de démocratie. Durant ces campagnes, on mesure aussi le fossé qui nous sépare des habitants : certains découvraient parfois qu'il y avait une élection législative, tout comme certains découvrent aujourd'hui qu'il y a une élection municipale. Je pense que toutes ces rencontres rapprochent les habitants de la démocratie.
Une campagne électorale, ce sont aussi des réunions et des meetings. J'ai entendu dire que ce n'était plus nécessaire, que de toute façon on n'était plus capable de réunir du monde – peut-être est-ce vrai pour certains, mais ce n'est pas le cas pour tous.
Je crains, chers collègues, que si nous confinons trop la campagne électorale, l'élection perde de sa noblesse et que sa légitimité en soit entachée. Le taux de participation au premier tour a porté de ce point de vue un coup terrible à la démocratie : seulement 45 % des électeurs ont voté ; cela signifie que, dans une ville comptant 10 000 électeurs, plus de 5 500 n'ont pas voté ! Nous avons tous pu voir durant l'épidémie de covid-19 à quel point l'échelle municipale était importante pour la gestion des crises. Les maires, les conseillers municipaux ont dû prendre des mesures exceptionnelles, des mesures parfois très difficiles à assumer auprès de la population. S'ils ont pu faire ce travail de titan, c'est, je vous le dis, parce qu'ils disposaient tous d'une autorité qui reposait sur un taux de participation aux élections municipales de 2014 supérieur à 60 %. Même si l'on peut regretter que ce taux baisse élection après élection, il s'agit quand même d'une élection où l'on vote encore en nombre – quoique insuffisamment, il faut bien le reconnaître. Vous connaissez les difficultés sociales du pays, vous savez combien la crise économique qui va s'abattre sur notre pays sera brutale : un maire ne pourra pas exercer sa mission correctement s'il ne bénéficie pas d'une légitimité suffisante.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de nous apporter des garanties réelles, des garanties solides, afin que notre démocratie puisse respirer. À défaut, l'action des futurs élus serait étouffée par leur manque de légitimité si nos concitoyens n'allaient pas assez nombreux dans l'isoloir. Nous demandons donc que, dès lors que les conditions sanitaires le permettent, une véritable campagne puisse avoir lieu – nous vous l'avons déjà dit lors de la réunion que vous avez organisée avec les différents groupes politiques. Aujourd'hui, les Français peuvent s'attabler en terrasse et sortir librement. Il suffit de marcher le matin dans Paris pour constater que, malheureusement, pour les gens qui travaillent notamment dans le BTP, les mesures sanitaires ne sont plus vraiment respectées. Les offices et les rassemblements religieux sont désormais à nouveau autorisés. Il serait par conséquent difficile de comprendre que, dans le cadre de la campagne électorale, des rencontres, par exemple des meetings en plein air, ne puissent avoir lieu dans les conditions de protection requises – et, de ce point de vue, je pense qu'on peut faire confiance aux militants politiques, comme on fait confiance aujourd'hui à nos concitoyens pour le respect des gestes barrières. Nous souhaitons aussi que le matériel de campagne puisse être diffusé et affiché, dans le respect des règles sanitaires.
Pour conclure, si nous sommes bien évidemment d'accord sur un éventuel report du second tour au cas où la crise sanitaire viendrait à rebondir, nous nous abstiendrons lors du vote sur le projet de loi parce que nous ne souhaitons pas donner, d'une manière ou d'une autre, notre agrément à la gestion des élections municipales depuis le 15 mars dernier – gestion qui, selon nous, a été mauvaise.