Beaucoup a été dit, sera dit ce soir et continuera de l'être demain sur les masques. Commençons par les critiques : beaucoup s'épanchent et se demandent pourquoi la France, puissance mondiale, n'a pas été en mesure de fournir des masques à ses citoyens dès le début de la crise. Les mêmes ont dû être, par le passé, des pourfendeurs de la ministre de la santé au moment de l'épidémie H1N1, Mme Roselyne Bachelot, critiquée pour avoir été « trop prudente ». Ces mêmes personnes ont pu siéger dans cette assemblée, où aucune inquiétude ni même intérêt sur les niveaux des stocks de masques ne se sont fait entendre avant la crise – je peux en témoigner en tant que membre de la commission des affaires sociales.
Mes chers collègues, loin de moi l'idée de polémiquer sur un sujet qui mérite toute notre attention et d'excuser ce qui ne peut l'être. Il faut aborder ce débat avec toute l'humilité, tout le sérieux et tout le recul qui s'imposent pour tirer tous les enseignements de cette crise.
D'où sommes-nous partis ? La France disposait, en 2008, d'un stock stratégique de 1 milliard de masques chirurgicaux, stock qui grossit de plusieurs centaines de millions d'unités lors de l'épidémie de H1N1. Le stock de masques FFP2 gagna également plus de 500 millions unités. Trop, au regard de l'expérience tirée de l'épidémie H1N1, ce qui conduisit à l'évolution de la doctrine. Ainsi, dès 2013, le stock national géré par l'EPRUS ne concernait plus que les masques de protection chirurgicaux pour les malades et leurs contacts, tandis que les stocks de masques de protection des personnels de santé revenaient à la charge des employeurs.
À quoi avons-nous été confrontés ? Au début de la crise, la France disposait d'un stock stratégique de 150 millions de masques chirurgicaux, apparu très vite insuffisant devant l'ampleur des besoins. Comme nous avons été confrontés à une crise mondiale, massive et rapide, qui a d'abord touché notre premier fournisseur, la Chine, notre pays s'est trouvé dans l'impossibilité de se réapprovisionner rapidement, puisque les autres pays passaient également des commandes de masse. Très tôt, la France, comme la majorité des pays, a eu à gérer un risque de pénurie de masques.
Cette doctrine, responsabilisant l'ensemble des acteurs, reposait sur une hypothèse essentielle, celle de la capacité à s'approvisionner rapidement sur les marchés internationaux, notamment auprès de la Chine, en cas d'urgence.
Face à cette situation, le Gouvernement a pris deux décisions. Dans un premier temps, il a réquisitionné, le 3 mars, l'ensemble des stocks de masques détenus par des personnes morales sur le sol français. Dans un second temps, il a réservé la distribution des masques aux soignants, afin qu'ils puissent faire face à l'afflux des patients atteints de covid-19. Ce choix s'est opéré à un moment où les avis scientifiques pouvaient diverger sur la nécessité du port du masque pour la population générale, et où l'efficacité des gestes barrières s'imposait avant la mesure ultime du confinement.
Pour compléter le stock, le ministère des solidarités et de la santé a commandé plus de 3 milliards de masques : malgré de fortes incertitudes, un pont aérien a été établi entre la France et la Chine. Nous avons également stimulé et relancé rapidement la production nationale de masques chirurgicaux, FFP2 et grand public en tissu. Il faut ici saluer la mobilisation des entreprises et des citoyens qui ont répondu à l'appel.
Ainsi, depuis le 11 mai, date du déconfinement, 100 millions de masques sont distribués chaque semaine aux professionnels de santé et 5 millions aux Français les plus modestes. Des masques, nous en avons, il nous suffit désormais de les porter
Qu'avons-nous appris de ces difficultés ? Que notre époque nous appelle à prendre plus au sérieux la prévention des risques majeurs. Le fonctionnement de nos sociétés complexes, interconnectées et interdépendantes peut se gripper si un élément aussi élémentaire et indispensable qu'un masque vient à manquer. Mais le salut ne peut pas venir d'un réflexe de repli sur soi et d'une impossible autarcie ; au contraire, davantage de coopération internationale est nécessaire, au premier chef au sein de l'Union européenne.
C'est entre Européens qu'il faut travailler à la prévention des risques majeurs, en étudiant en commun les scénarios tenant parfois de l'improbable et en tirant les conclusions appropriées. C'est également entre Européens qu'il faut renforcer notre souveraineté stratégique dans le domaine de la santé : c'est tout le sens de l'innovation franco-allemande, annoncée le 17 mai dernier.
Gouverner, c'est prévoir, prévoir qu'un virus peut venir bouleverser toutes nos certitudes, prévoir, ce qui est le plus difficile, que l'impensable est bel et bien possible. C'est d'une assurance française et européenne dont il faut nous doter pour nous préparer au pire, donc anticiper l'émergence des risques majeurs, prévenir leur apparition et, si cela ne suffit pas, maîtriser leurs conséquences, questionner sans relâche notre stratégie, tester les dispositifs prévus et remettre cent fois sur le métier notre ouvrage pour l'améliorer.
Notre assemblée a également son rôle à jouer : nous devons continuer à la hisser à la hauteur des enjeux, en mobilisant en particulier l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ou le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques.
Enfin, aucune politique de prévention ne saurait être efficace sans impliquer les citoyens : la discussion, le débat et la compréhension collective et citoyenne des enjeux sont des éléments fondamentaux qu'il nous faudra avoir à l'esprit pour affronter demain des défis de même ampleur. Nous autres, Français, savons désormais que la prévention est essentielle : tirons-en toutes les leçons et, élus comme citoyens, agissons !