L'année dernière, invitée par la Délégation aux droits des femmes et de notre président Richard Ferrand, Agnès Varda nous conviait, à l'occasion de la projection de son film L'une chante, l'autre pas, à vivre une féminité heureuse. Mais, sans liberté de choix, et en particulier celui d'être mère ou de ne pas l'être, comment être heureuse ?
Le débat auquel nous participons ce soir s'inscrit dans une histoire de luttes, de combats et de droits, car, si l'avortement est un acte intime et privé, le droit d'en disposer est un enjeu sociétal et politique qu'il nous appartient de préserver. L'interruption volontaire de grossesse est un droit totem pour les femmes dont l'effectivité dit quelque chose de notre société. C'est pourquoi nous n'avons eu de cesse de le renforcer depuis 1975 en facilitant partout son accès.
Le droit à l'IVG est avant tout une question de choix : le choix de poursuivre ou non une grossesse, le choix d'un lieu et le choix d'une méthode, et ce sur l'ensemble de notre territoire. Cette liberté de choix est garantie par la loi, et nul ne saurait la remettre en cause. Les droits des femmes ne peuvent dépendre des conditions sociales ou sanitaires dans lesquelles nous vivons. C'est pourquoi il revient au législateur de veiller à son effectivité en tout temps, crise sanitaire ou non.
La période de confinement que nous venons de vivre s'est traduite par un accroissement sans précédent des difficultés d'accès à certains droits, dont celui à l'IVG. De fait, depuis le mois de mars, les pouvoirs publics ont été saisis d'importantes remontées de terrain témoignant de la souffrance et du sentiment de solitude de nombreuses femmes confrontées à des difficultés d'accès à l'IVG. Les lignes d'écoute, et d'information ainsi que les associations ont été fortement sollicitées et de nombreux parlementaires, à l'instar des membres de la Délégation aux droits des femmes que je préside, se sont mobilisés pour relayer l'urgence de la situation.
En réponse à ces alertes, le Gouvernement a pris une série de mesures que je tiens à saluer ici, en particulier la facilitation du recours à la téléconsultation pour l'IVG médicamenteuse ainsi que l'augmentation de sept à neuf semaines d'aménorrhée du délai de réalisation de celle-ci hors milieu hospitalier, autorisations qui ont été permises par la réactivité des professionnels de santé qui, dès le début du confinement, ont activement réorganisé la prise en charge des femmes afin de pouvoir répondre à toutes les demandes dans les plus brefs délais. La Délégation aux droits des femmes a entamé une démarche d'analyse qui nous permet aujourd'hui de demander la pérennisation des dispositifs d'urgence concernant l'IVG médicamenteuse, mais également un assouplissement des conditions de recours à l'IMG afin de répondre à la hausse des demandes d'IVG hors délais.
Par ailleurs, les nombreuses auditions menées dans le cadre de la mission d'information sur l'accès à l'IVG, conduite par nos collègues Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti, soulignent la nécessité d'augmenter le nombre de professionnels pouvant effectuer ce geste. C'est pourquoi je suis favorable à ce que les sages-femmes qui le désirent puissent s'y former, comme je le suis à la suppression de la double clause de conscience, qui stigmatise l'IVG, qui pourrait s'effectuer à l'occasion de la seconde lecture du projet de loi relatif à la bioéthique.
En tant qu'élus de la nation, mes chers collègues, nous sommes tous et toutes ici les héritiers de Marie-Claire, Gisèle, Simone, Agnès, Suzanne et Pomme, et de toutes celles et tous ceux qui ont mené sur ses bancs, pendant 45 ans, un combat qui a permis d'enrichir et d'adapter le texte initial, mais aussi de le défendre contre des attaques incessantes.
À nous de garantir à chaque femme une féminité heureuse, et la possibilité d'être ou non « à son tour le lieu de passage des générations », comme l'écrit si justement Annie Ernaux dans son livre L'Événement.