Toujours, quand la société perd le contrôle de son avenir, elle réaffirme son contrôle sur ce qu'elle peut contrôler ; et ce contrôle porte toujours en premier lieu sur le corps des femmes. Cela n'a pas manqué avec la crise du covid-19 : le droit à l'avortement a reculé, y compris en France.
La situation avant le confinement n'était pas brillante : si le droit à l'avortement est acquis depuis 1975, son accès effectif n'est toujours pas garanti à toutes les femmes, car il faut que celles-ci trouvent une structure capable de pratiquer une IVG et un médecin qui accepte de la faire ; or ils ne sont pas si nombreux, d'autant qu'il existe une double clause de conscience permettant de s'y soustraire. Au total, 130 structures pratiquant l'IVG ont fermé entre 2001 et 2011 et, au cours des dix dernières années, 8 % des centres ont fermé. Une femme a plus de difficulté à avorter si elle vit en zone rurale ou périurbaine plutôt que dans une grande ville, si la grossesse non désirée advient en été plutôt qu'en une autre saison. D'une région à l'autre, les taux de recours varient du simple au double ; 9 % des IVG sont faites hors du département de résidence et il faut parfois parcourir plus de 100 kilomètres pour faire une IVG, ce qui la rend d'autant plus complexe pour les jeunes femmes, les femmes victimes de violences conjugales ou celles qui subissent une surveillance quotidienne de la part de leur entourage. Il faut ensuite affronter le regard de la société, y compris celui des praticiens qui tentent de dissuader les femmes d'avorter, se mêlent de leur vie privée ou de leurs aspirations personnelles. Certains doivent même subir les pressions terribles des fous de Dieu qui se rendent devant les centres d'avortement pour s'adonner à des prières de rue illégales et tenter d'empêcher les femmes d'user librement de leur corps.
Pendant le confinement, la situation s'est aggravée. De nombreuses femmes ont dépassé le délai légal pour pratiquer un avortement malgré l'allongement de deux semaines pour une IVG médicamenteuse. Des témoignages terribles ont été publiés dans la presse.
C'est celui de cette trentenaire qui s'était juré de ne jamais avoir d'enfant ; quand elle découvre sa grossesse, au début du confinement, elle va consulter un gynécologue pour une IVG ; celui-ci la décourage et la renvoie en lui conseillant de réfléchir. Elle rentre chez elle, pleure chaque jour. « Et quand elle finit par venir nous voir, il est trop tard. »
C'est celui de cette jeune femme qui désirait avoir un enfant et qui commence par se réjouir de la nouvelle ; mais avec la grossesse arrivent les coups de la part de son conjoint. Elle décide donc de le quitter et d'avorter – mais ils sont enfermés ensemble. « À son arrivée chez nous, elle découvre qu'elle a dépassé le terme. »
Voilà le témoignage de personnes qui ont été reçues à la maison des femmes de Saint-Denis. Il y a aussi les mineures qui n'ont aucun prétexte pour sortir de chez elles pendant le confinement et qui sont dans l'impossibilité d'en parler à leur famille, ni à qui que ce soit, et qui laissent passer le délai légal. La fermeture des frontières ne permet même pas à celles qui en auraient les moyens de se rendre en Belgique ou en Espagne pour pratiquer un avortement. Reste alors le terrible choix entre garder un enfant non-désiré, avec toutes les conséquences que cela aura sur sa vie et sur celle de l'enfant, ou recourir à un avortement clandestin.
Si nous ne faisons rien, nous préparons le retour des faiseuses d'anges, avec leur cortège de malheurs, de mortes, de stérilisées à vie, de traumatisées, des souffrances impensables qui étaient celles des femmes avant l'autorisation de l'avortement. Face à cela, nous devons garantir l'effectivité du droit à l'avortement et adapter les délais à la période de confinement, car celle-ci a empêché les femmes d'y recourir. Il faut augmenter le délai de douze à quatorze semaines pour pratiquer une IVG et, plus généralement, supprimer la double clause de conscience des professionnels de santé. Il faut un moratoire sur la fermeture des centres pratiquant l'IVG et le développement de l'offre de proximité. Il faut attribuer des moyens importants pour l'activité d'IVG, tout en garantissant l'accès à des locaux. Le groupe La France insoumise avait proposé d'inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution afin qu'aucune crise ne puisse le remettre en cause. Ces mesures sont indispensables pour garantir aux femmes la libre disposition de leur corps.