Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du mercredi 10 juin 2020 à 15h00
Débat sur le rapport d'information de la commission des finances sur le printemps de l'évaluation consacré à l'évaluation des politiques publiques 2020

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

… que nous avons tenues la semaine dernière l'ensemble des points essentiels qui y ont été développés, mais je vais vous faire part de quelques idées transversales et fortes que l'on peut en tirer. Elles feront l'objet d'un rapport, millésimé 2020, d'évaluation des politiques publiques dans les circonstances que je viens d'évoquer, rapport qui sera présenté en commission des finances.

Si l'on peut se féliciter, de façon générale, que la plupart des missions budgétaires soient exécutées en conformité avec l'autorisation budgétaire accordée à l'origine, certaines missions connaissent tout de même des sous-exécutions – c'est le cas de la mission « Outre-mer » – ou, à l'inverse, des sur-exécutions assez importantes – je pense à la mission « Cohésion des territoires », à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ou à la mission « Sécurités ». Mais la sous-exécution ou la sur-exécution se concentre souvent sur seulement un ou deux programmes au sein de la mission. Pour la mission « Écologie, développement et mobilité durables », c'est ainsi le programme « Énergie, climat et après-mines » qui connaît, comme l'a relevé le rapporteur spécial Julien Aubert, un dépassement de 230 millions d'euros par rapport à des crédits initialement ouverts d'un peu moins de 600 millions d'euros, en raison d'une prévision erronée des dépenses dues aux primes à la conversion pour les véhicules polluants. Lorsque l'on se trouve devant un écart important et surtout récurrent entre l'exécution et l'autorisation pour une mission budgétaire, il faut en venir à questionner la méthode employée. C'est ce qu'ont fait nos rapporteurs spéciaux pour la mission « Immigration, asile et intégration », Jean-Noël Barrot et Stella Dupont, en demandant que soit expertisée la méthodologie de calcul des dépenses pour l'année à venir. Cette expertise contradictoire peut aider à mieux comprendre les erreurs récurrentes, mais surtout à les corriger, et ainsi à progresser dans la voie de la sincérisation de notre budget et de sa transparence.

Nous avons également pu relever l'importance, pour certaines missions, des restes à payer. La mission « Défense » – pour laquelle c'est assez classique – et la mission « Relations avec les collectivités territoriales » sont les principales concernées. Ces restes à payer s'expliquent notamment par l'importance de certains projets ou programmes d'investissement qui s'étalent sur de nombreuses années. Pour autant, leur croissance reste préoccupante, notamment pour la mission « Culture », qui enregistre une rapide progression des restes à payer – de l'ordre de 18 % en 2019.

Budgets annexes, comptes spéciaux, taxes affectées ou dépenses fiscales… tous ces mécanismes viennent brouiller la lisibilité des comptes pour le Parlement. C'est ce que regrettent aussi bien l'ensemble des rapporteurs spéciaux que les magistrats de la Cour des comptes.

La question des fonds sans personnalité juridique a également été évoquée à plusieurs reprises. Ces fonds sont problématiques, car ils ne répondent pas à des règles de gouvernance bien établies. En outre, le suivi des dépenses qu'ils effectuent est souvent imparfait. Ainsi, la manière dont le fonds pour l'innovation et l'industrie consomme – ou plutôt ne consomme pas – les crédits qui lui ont été attribués a été dénoncée. Dans le contexte actuel, où les recettes se font rares et où leur utilisation pertinente est cruciale, la question est extrêmement pertinente.

L'impact de la crise a été mesuré par les rapporteurs spéciaux avec grand soin – même s'il s'agissait, comme je l'ai dit en préambule, d'un exercice d'évaluation tout à fait particulier.

L'évolution de certaines missions budgétaires démontre que les amortisseurs sociaux ont joué à plein pendant cette période encore en cours, en particulier la mission « Cohésion des territoires », qui englobe les aides au logement, ou encore la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui finance certaines prestations sociales.

Beaucoup d'opérateurs de l'État, ont relevé de nombreux rapporteurs spéciaux, devraient connaître une baisse significative de leurs ressources, aussi bien dans le champ de l'enseignement que dans celui de la culture – moins 80 millions d'euros pour le Louvre, moins 40 millions d'euros pour Versailles par exemple – , des transports ou de l'export. On voit bien que ces opérateurs vont connaître au moins une année difficile, ce qui pose la question de l'ampleur et des modalités du soutien financier dont ils auront besoin. Faudra-t-il uniquement apporter des crédits budgétaires, ou bien augmenter les plafonds de certaines taxes affectées, voire en créer de nouvelles – ce que je ne recommande pas ? Notre rapporteur spécial pour les crédits du programme « Patrimoines », Gilles Carrez, a formulé une proposition, tout à fait intéressante, relative aux grands établissements culturels pour lesquels les pertes de recettes sont considérables : il faudrait autoriser ces opérateurs à emprunter des fonds auprès du fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations. Le livret A déborde d'argent non utilisé : utilisons-le à bon escient, cela coûterait nettement moins cher que de rémunérer des ressources qui ne financent rien et ne rapportent par conséquent rien. La crise pourrait également frapper de plein fouet les budgets de certaines administrations de l'État, qui sont déjà contraints et fragiles.

Sans surprise, la crise fragilise aussi les finances des collectivités territoriales, tant en recettes qu'en dépenses. On peut craindre que dans ce cadre, elle accentue les difficultés rencontrées et rende encore plus malaisée l'atteinte des objectifs des politiques publiques. Vous tentez d'y répondre, monsieur le ministre, au travers de ce troisième projet de loi de finances rectificative, qui propose un soutien tout à fait exceptionnel aux collectivités locales dès 2020.

Pour autant, cette faiblesse d'ensemble pourrait être transformée en atout, sinon en force, si la crise nous conduisait à trancher, à faire explicitement des choix en faveur de certaines dépenses et, à l'inverse, à abandonner ou à réduire certaines autres. Il y a urgence à rationaliser nos dépenses. Cela signifie évidemment qu'il va falloir réexaminer la priorité de mesures qui avaient été introduites dans le budget 2020. Pertinentes voire indispensables il y a six mois, le sont-elles encore aujourd'hui ? On peut penser, par exemple, à l'augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d'avion. De même, la réforme de la réduction d'impôt pour le mécénat des entreprises, largement débattue ici même et que l'on pouvait déjà considérer comme un risque pour le maintien du niveau du mécénat, ne devient-elle pas problématique dans le contexte actuel ?

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