Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mercredi 10 juin 2020 à 15h00
Débat sur le rapport d'information de la commission des finances sur le printemps de l'évaluation consacré à l'évaluation des politiques publiques 2020

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Nous sommes réunis pour procéder à l'évaluation des politiques publiques conduites en 2019. C'est un exercice particulier, puisque nous avons tous comme ligne d'horizon la gestion de 2020, déjà très fortement affectée par la crise du coronavirus, avec une hypothèse de déficit public de 9,9 % selon les dernières prévisions publiées par la Commission européenne, un produit intérieur brut en recul de 8,2 % et une dette publique qui s'envole, à 116,5 % du PIB.

C'est pourquoi il nous faut réagir vite et prendre des mesures fortes. Pour ce faire, les rapports qui nous sont soumis dans le cadre de cette évaluation sont très intéressants. Dans le temps imparti, il est évidemment impossible d'en passer l'ensemble en revue, certains n'ayant toujours pas été rendus publics ou l'ayant été il y a quelques instants – je pense notamment à celui qui porte sur la sécurité. C'est dommage…

Je me cantonnerai donc à l'évaluation de deux missions, assez emblématiques selon moi.

L'exécution budgétaire 2019 de la mission « Immigration, asile et intégration », composée des programmes 104, « Intégration et accès à la nationalité française », et 303, « Immigration et asile », s'est établie, hors fonds de concours, à 1,948 milliard d'euros en autorisations d'engagement et à 1,78 milliard en crédits de paiement, montants supérieurs d'environ 5 % à ceux ouverts par la loi de finances pour 2019. L'exercice 2019 est le onzième exercice consécutif au cours duquel les crédits initiaux ont été dépassés. Et, une fois encore, le déséquilibre constaté provient d'une importante surexécution du programme 303, « Immigration et asile », pour plus de 150 millions.

L'an dernier déjà, les crédits de cette mission avaient été significativement augmentés dans la loi de finances initiale pour 2018, et cela n'avait pas suffi. Ce n'est guère étonnant, puisque vous fondez les prévisions de dépenses sur un nombre de demandes d'asile largement sous-évalué. En 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a enregistré 132 614 demandes au total, soit 7,3 % de plus qu'en 2018. La demande d'asile a ainsi atteint un nouveau niveau record en France, alors que, je vous le rappelle, elle baisse partout ailleurs en Europe.

Bref, vous vous entêtez à sous-estimer l'évolution de la demande d'asile et, bien entendu, son effet sur les crédits qui lui sont consacrés. On se demande bien pourquoi, d'autant que la crise sanitaire devrait amener à majorer encore les dépenses de cette mission, d'environ 168 millions d'euros, soit une augmentation de plus de 9 %.

Mon deuxième exemple concernera l'aide médicale d'État, l'AME, et la prise en charge sanitaire des étrangers en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois. S'il faut souligner que, cette année – enfin ! – , les dépenses de l'AME inscrites au budget de l'État ont été exécutées conformément aux prévisions, on constate malgré tout une progression continue de ces dépenses, de 29 millions en un an ! En cinq ans, le coût de l'ensemble des composantes de l'AME s'est accru d'environ 175 millions, en raison de l'augmentation du nombre de bénéficiaires – 326 000 à la fin de l'année 2019, contre 318 000 à la fin du mois de décembre 2018 – et de l'élévation du coût trimestriel moyen par bénéficiaire – 641 euros en 2017 ; 674 euros en 2018 ; 685 euros en 2019.

En outre, le coût réel de l'AME est probablement largement sous-estimé. Si l'on en croit le rapport récemment établi à ce sujet par l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales, la dépense hospitalière pour les étrangers en situation irrégulière est sous-évaluée d'au moins « 8 %, à quoi s'ajoutent des frais de gestion de l'ordre de 8 % » également.

En guise de conclusion, je voudrais mettre cette réflexion en perspective en évoquant un autre sujet miné : celui de la fraude sociale. Les travaux de la commission d'enquête présidée par notre collègue Patrick Hetzel sont prometteurs. Peut-être arriverons-nous enfin à nous attaquer à cette question ! Selon Charles Prats, magistrat et ancien membre de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, 12,4 millions de personnes nées à l'étranger ou dans un territoire d'outre-mer ont bénéficié de prestations sociales l'an dernier, alors qu'il devrait y en avoir au maximum 9,9 millions selon l'INSEE. Il y a donc 2,5 millions de « fantômes », pour reprendre le terme de M. Prats, qui touchent chaque mois de l'argent de l'État français !

Monsieur le ministre, je ne peux que m'interroger sur les raisons du manque de transparence sur ces questions. Les sujets tabous n'ont pas lieu d'être, à plus forte raison en matière budgétaire : il s'agit d'argent public, de l'argent des Français, et ceux-ci ont le droit de savoir comment il est utilisé.

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