Cette situation est tout à fait exceptionnelle et ce bouclier est forcément de court terme. La question désormais est de savoir comment accélérer la reprise tout en accompagnant les entreprises et les salariés, et en protégeant les demandeurs d'emploi. Retirer brutalement et de façon uniforme ce filet de sécurité serait mettre à bas l'effet protecteur de notre effort collectif ; ce serait condamner sans appel nos entreprises et nos emplois dans de nombreux secteurs. On voit bien que la reprise est très différente d'un secteur à l'autre et nos réponses doivent tenir compte de ces différences. Le filet de sécurité évoluera progressivement pour nous permettre de sortir durablement de la crise. Ainsi depuis le 1er juin, les entreprises de la plupart des secteurs contribuent à hauteur de 15 % au financement du dispositif, ce qui constitue une incitation à la reprise de l'activité.
Nous continuons toutefois à protéger les secteurs les plus durement frappés par la crise, notamment du fait des fermetures administratives, en particulier l'hôtellerie, la restauration, la culture, les sports et les secteurs connexes qui en dépendent quasi exclusivement. Pour ces secteurs, nous maintenons jusqu'à la fin septembre la prise en charge à 100 % de l'activité partielle par l'État et l'UNEDIC.
Dans cette phase de reprise, les contraintes économiques qui pèsent sur les entreprises risquent de les conduire à des arbitrages dommageables à l'emploi. Nous partageons le diagnostic selon lequel le retour à une pleine activité ne pourra pas toujours être immédiat, ni même rapide : plusieurs mois, voire plusieurs années pourraient être nécessaires, en fonction notamment de la durée des cycles de production. Ainsi, si les activités de service du quotidien sont déjà reparties très fortement, des secteurs comme l'aéronautique ou l'automobile auront besoin de temps pour retrouver une pleine activité, dans un contexte marqué en outre par une transformation du modèle économique.
Tout doit être fait pour accélérer et amplifier la reprise. C'est l'objet même des concertations qu'à la demande du Président de la République, je mène de façon intensive depuis mardi avec les partenaires sociaux et que je poursuivrai pendant les huit prochains jours. L'emploi et toutes les mesures nécessaires pour le soutenir seront au centre de ces discussions. C'est aussi le sens des mesures d'urgence de soutien à l'apprentissage que j'ai annoncées la semaine dernière : compte tenu de la saisonnalité du recrutement des apprentis, elles entreront en application dès le 1er juillet.
Face à cette perspective, vous proposez l'exonération de l'ensemble des cotisations sociales patronales d'origine légale et conventionnelle, à l'exception des cotisations servies à la branche accidents du travail et maladies professionnelles, quand les salariés cessent d'être placés en position d'activité partielle dans les cinq jours suivant la publication de la loi, délai étendu à trente jours pour les secteurs qui subissent encore des mesures réglementaires de fermeture des établissements.
Je rappelle tout d'abord que nous avons déjà supprimé quasiment toutes les charges patronales sur les plus bas salaires : le dispositif que vous proposez n'aurait donc pas d'effet sur les emplois les plus vulnérables à la crise. À cette solution générale, déjà utilisée dans d'autres contextes de crise, nous préférons des dispositifs plus ciblés, issus de concertations et plus exigeants en termes de maintien de l'emploi dans le temps. Certes, dans ce contexte unique de pandémie, la majeure partie des entreprises ont dû ralentir, voire arrêter leur activité, mais la reprise, je l'ai dit, est extrêmement différenciée selon la nature de l'activité et l'impact des contraintes sanitaires auxquelles elles sont soumises.
La plupart des entreprises – je rencontre des chefs d'entreprise tous les jours – souhaitent reprendre pleinement leur activité. Les freins ne sont donc pas psychologiques mais pratiques : ils tiennent au marché, à l'organisation, aux contraintes sanitaires et à leur impact sur la productivité. Si elles veulent retrouver une pleine activité, c'est parce que c'est à terme la seule protection réelle contre les défaillances d'entreprise et le chômage. Mais la plupart des entreprises ne sont pas capables, avec ou sans l'aide de l'État, de passer d'un jour à l'autre d'une activité nulle à une activité pleine et entière, d'où l'utilité du dispositif d'activité partielle. Nous avons permis que le dispositif soit individualisé par accord de branche pour garantir la plus grande flexibilité et donner le maximum de chances à la reprise.
La grande diversité des difficultés rencontrées par les entreprises nécessite des politiques sectorielles ciblées. Aux plans que nous avons déjà annoncés pour l'automobile, l'aérien et la technologie viendront s'ajouter des plans pour le bâtiment, le commerce de détail et l'artisanat.
Conformément aux annonces du Président de la République, l'article 18 du troisième projet de loi de finances rectificative – PLFR – adopté hier en Conseil des ministres, prévoit l'annulation de 3 milliards d'euros de charges sociales patronales, mais là aussi ciblée. Ses modalités de mise en oeuvre – exonération, crédit de cotisations, remise ou apurement de dettes – ont été exposées en détail hier par mes collègues Bruno Le Maire, le ministre de l'économie et des finances, et Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, devant la commission que vous présidez, monsieur le rapporteur. Je souligne le caractère inédit de cette mesure, qui permettra notamment aux secteurs du tourisme, de l'hôtellerie, de la restauration, de la culture, de l'événementiel, du sport et du commerce de détail non alimentaire de réduire très rapidement et massivement leurs passifs sociaux afin que ces PME et les TPE puissent reprendre leur activité avec sérénité, sans avoir le couteau sous la gorge.
Au-delà du levier que constituent ces aménagements massifs mais ciblés de cotisations, il est nécessaire de mettre en place de nouveaux dispositifs de préservation de l'emploi et des compétences dans la phase qui s'annonce. Ils doivent permettre d'ajuster la capacité de production ou de prestation de services à une demande en baisse, en limitant les coûts économiques et sociaux tout en préservant l'emploi et les compétences pendant cette période de baisse de l'activité.
Lors de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, nous avons proposé au Parlement de créer le cadre législatif d'un dispositif spécifique d'activité partielle mis en place par accord collectif ou de branche et qui puisse être de longue durée. Introduit au Sénat puis affiné en commission mixte paritaire, ce dispositif a été définitivement adopté hier par le Sénat. Comme je l'ai indiqué jeudi dernier à l'issue de la réunion des partenaires sociaux autour du Président de la République et du Premier ministre, j'ai entamé les consultations pour que ce système d'activité partielle de longue durée soit pleinement opérationnel dès le 1er juillet. À cette date, un accord collectif ou de branche pourra préciser les salariés concernés et définir les réductions de l'horaire de travail donnant lieu à indemnisation, ainsi que les engagements spécifiques souscrits en contrepartie, notamment pour le maintien de l'emploi.
Je rappelle que les ordonnances Travail de 2017, que vous avez ratifiées, ont élargi considérablement le champ du dialogue social. Dans cet esprit, il faut continuer à s'appuyer résolument sur le dialogue social, à donner tous les moyens aux partenaires sociaux, dans les entreprises et les branches, de prendre les mesures qui permettront une reprise d'activité maximale, tout en protégeant les emplois de ceux qui ne peuvent pas encore retravailler à temps plein.
C'est pour toutes ces raisons, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, que le Gouvernement, tout en saluant l'intention qui a présidé à la rédaction de cette proposition de loi, ne peut pas être favorable à son adoption, qui ne lui paraît pas la bonne réponse à une très bonne question.