Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du jeudi 11 juin 2020 à 9h00
Allégement temporaire des cotisations sociales à la charge des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

La présente proposition de loi veut favoriser la reprise de l'économie. Pour y parvenir, ses auteurs se fient à une idée éculée : ils veulent procéder à des exonérations de cotisations sociales. Les bénéficiaires en seraient les patrons dont les salariés reprendraient le travail à temps plein dans les cinq jours suivant la promulgation de la loi.

Ce dispositif relève de la pensée magique. D'abord, cela revient à considérer que reprendre le travail à temps plein est une question d'incitation ou de bonne volonté. C'est faux et, d'une certaine manière, c'est insultant. C'est faux, puisque la reprise d'activité est d'abord une affaire sanitaire et une question de carnet de commandes. C'est insultant, parce que celles et ceux qui sont au chômage partiel ou total ne sont pas des fainéants. Les études sur la fraude publiées à l'issue du confinement sont très claires sur ce point : les salariés, tout comme les fonctionnaires, ne sont pas des resquilleurs ou des « tire-au-flanc » – pour reprendre le terme particulièrement odieux employé récemment par un membre du ministère de l'éducation nationale pour désigner les professeurs. Les salariés ont plutôt été les instruments, voire les victimes de patrons fraudeurs qui ont profité des largesses de l'État : au moins un quart des salariés ont été indûment maintenus en activité aux frais de l'État par leurs employeurs. Par conséquent, ces derniers n'auront aucune peine à les remettre au travail, puisqu'ils n'avaient pas cessé d'y être ! Exonérer de cotisations de tels patrons lorsque leurs salariés retourneront en entreprise, c'est tout bonnement récompenser la fraude.

Inciter à la reprise d'activité par des exonérations de cotisations, c'est aussi déséquilibrer les comptes sociaux. Il s'agit d'une mesure purement idéologique, qui vise à affaiblir le système de protection sociale pour pouvoir affirmer ensuite qu'il est inefficace. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage ; qui veut privatiser la protection sociale organise sa faillite !

Pour protéger les petites entreprises et relancer l'économie, c'est l'inverse qu'il faudrait faire. L'argent public devrait servir, non pas à affaiblir la protection sociale, mais à compenser directement le manque à gagner de ceux qui ont dû fermer boutique pendant le confinement. Vous voulez soutenir les petites entreprises, éviter un naufrage massif ? Nous aussi ! N'exonérez pas les patrons de cotisations sociales, parce que les cotisations ne sont pas des charges, elles font pleinement partie du salaire et reviennent donc de plein droit aux producteurs de richesses que sont les travailleurs. Annulez plutôt les dépenses contraintes des petites entreprises, qui sont les vraies charges ; annulez les loyers de tous les petits commerçants qui n'ont eu que 1 200 euros pour survivre, alors que leur bail leur coûtait autant, sinon plus. Et si vous souhaitez que ce soit l'État qui prenne à sa charge le montant des loyers plutôt que les propriétaires eux-mêmes, nous sommes prêts à en discuter. Tout vaudra mieux que priver les travailleuses et les travailleurs des fruits de leur travail. C'est une question de justice comme d'efficacité économique.

Face à la crise, il faut veiller à ce que la demande soit solvable et, pour cela, l'État doit prendre l'initiative en lançant de grands travaux écologiques : la rénovation thermique des bâtiments, l'entretien et le redéploiement des réseaux d'eau, de chaleur, d'énergie, de transports. L'État peut et doit aussi sécuriser les travailleurs en titularisant les vacataires de la fonction publique.

Pour revenir à votre idée initiale, monsieur le rapporteur, selon laquelle les salariés auraient besoin d'être forcés à reprendre le travail, je vous le dis : il y a bien des raisons de ne pas reprendre à temps complet.

En premier lieu, il convient de respecter les précautions sanitaires imposées par l'épidémie. Certains versent une prime aux travailleurs qui prennent des risques. Comble de l'absurdité, ce texte avantage pour sa part les patrons qui se désintéressent de la santé de leurs salariés !

Ensuite, pour reprendre le travail à temps plein, il faut pouvoir confier ses enfants à une école ou à une crèche. Or les préconisations du ministère de l'éducation nationale ne le permettent pas. Le 8 juin, alors que 90 % des écoles avaient rouvert, 26 % seulement des élèves étaient scolarisés normalement. De nombreuses mairies demandent en effet aux parents de trouver d'autres solutions que la scolarisation. Il est de la responsabilité du Gouvernement d'avoir voulu à tout prix que les écoles s'adaptent, plutôt que ce soit le monde du travail qui le fasse. Pourtant, les nécessités du déconfinement auraient dû inciter à prendre de la hauteur et constater que le chômage partiel compensé est en réalité la préfiguration d'une nécessaire réduction du temps de travail.

Au lieu d'inciter à reprendre à temps complet, mieux vaudrait orienter les crédits vers la reprise d'activité de celles et ceux qui sont complètement au chômage. Ainsi, nous soutiendrions la demande intérieure et nous relancerions l'activité. C'est peu ou prou ce qu'a décidé la première ministre néo-zélandaise en instaurant la semaine de quatre jours.

La réduction du temps de travail a en outre un intérêt écologique, puisqu'elle supprime une journée de déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Elle permet aussi de partager le travail avec ceux qui sont sans emploi ; elle ferait donc baisser le chômage. En somme, elle rééquilibrerait le partage de la valeur entre le capital et le travail – mais, bien sûr, c'est cela qui vous est insupportable.

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