Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 11 juin 2020 à 9h00
Dispositif zéro charge pour l'embauche de jeunes de moins de 25 ans — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Monsieur le rapporteur, je comprends évidemment que vous vous préoccupiez de l'emploi des 700 000 jeunes qui vont entrer sur le marché du travail, surtout compte tenu des effets de la crise ; nous nous en inquiétons tous. Nous nous opposerons néanmoins à votre proposition de loi, pour trois raisons : le risque d'un effet d'aubaine ; celui d'un affaiblissement de la protection sociale ; enfin, la politique de l'offre dont vous vous réclamez en suggérant – comme à propos de la proposition de loi précédente – que la réduction du coût du travail serait l'alpha et l'oméga de toute politique économique, alors que c'est une politique de la demande obéissant à des critères sociaux et écologiques qu'il nous faut, a fortiori dans la période qui s'annonce.

Je ne m'attarde pas sur le risque d'un effet d'aubaine, qui est évident – je n'ai d'ailleurs entendu aucune réponse qui vaille à cette objection – dès lors que les exonérations seraient accessibles même à des entreprises ne rencontrant aucun problème d'embauche et qui n'en ont donc pas besoin.

J'en viens au risque de faire peser la dette du covid sur les comptes de la sécurité sociale et de l'UNEDIC, à propos duquel je m'appuierai sur un excellent article de l'économiste Michaël Zemmour paru il y a quelque temps dans Le Monde.

L'État a déjà engagé la démarche consistant à constituer les dépenses exceptionnelles de la sécurité sociale en dette sociale par leur transfert à la CADES et, de même, à conserver les dépenses exceptionnelles de l'assurance chômage au passif de l'UNEDIC. Cette logique, qui est aussi celle du texte de loi en discussion, hypothèque l'avenir de nos assurances sociales en leur faisant supporter la dette du covid au lieu d'en confier la gestion intégrale à l'État.

Du côté des recettes, les assurances sociales ont déjà dû subir leur baisse du fait de la récession, mais aussi du report, se muant en annulation, des cotisations des entreprises. C'est inquiétant, car, comme le souligne la dernière note du Haut Conseil au financement de la protection sociale, la dette de l'État et la dette sociale ne sont pas gérées de la même manière. Alors que la dette sociale a vocation à être remboursée « intérêt et principal », selon la formule consacrée, celle de l'État est gérée à long terme et ne donne lieu à aucun remboursement du stock, seuls les intérêts étant supportés par l'État.

Ainsi, explique Michaël Zemmour, si nous constituons en 2020 une dette sociale d'une centaine de milliards d'euros, cela obligera la CADES et l'UNEDIC à utiliser 10 milliards de ressources sociales par an pendant dix ans pour l'éponger, ce qui nuirait inévitablement à la protection sociale. Si c'est l'État qui prend la dette en charge, il lui en coûtera au plus 1 milliard par an, et encore, car cela dépendra de la politique monétaire de la Banque centrale européenne – vous savez que nous plaidons pour que la dette actuelle due au covid soit transformée en dette perpétuelle afin d'être gérée plus efficacement.

Au-delà de ces chiffres, le risque d'affaiblissement de la protection sociale est préoccupant dans une société où la pauvreté va immanquablement augmenter.

S'agissant enfin de la politique de l'offre que vous revendiquez, Éric Woerth déclarait tout à l'heure que la réduction du coût du travail avait toujours fonctionné. Vraiment ? Il va falloir que nous comparions les données dont nous disposons : de même que la preuve du pudding c'est qu'on le mange, de même on ne peut proférer de telles affirmations sans les fonder sur des exemples de cas où la méthode a porté ses fruits.

Pierre Cahuc, économiste ultralibéral qui va jusqu'à remettre en question la nécessité du SMIC, estime dans un article coécrit avec Stéphane Carcillo que « le coût net de création d'emploi par [le dispositif] "zéro charges" se situe donc aux alentours de zéro ». De fait, on peine à trouver les emplois créés par la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – en exonérations et par l'ensemble des exemptions d'exonérations que nous ont infligées les précédents gouvernements au nom de la même politique. L'étude la plus favorable au CICE n'estimait qu'à 100 000 le nombre d'emplois créés, pour un coût de 100 milliards d'euros.

Évidemment, mieux vaut travailler qu'être au chômage. Mais cet objectif peut être atteint grâce à nos propositions sur l'investissement de l'État, la bifurcation écologique, le recrutement dans la fonction publique pour développer les services publics, puisque nous avons besoin d'un État plus fort, et la relocalisation.

Enfin, ce qui coûte le plus cher à notre société, c'est le capital. Allons donc prendre les dividendes pour les réinjecter dans le marché du travail et au profit de ceux qui produisent des richesses !

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