Le texte que nous examinons peut sembler technique, mais il engage, bien au-delà des chiffres, un projet de solidarité comme le pays n'en a pas connu depuis très longtemps. En proposant une nouvelle reprise de dette par la Caisse d'amortissement de la dette sociale – CADES – , il répond à une nécessité de court terme, au regard de la situation que nous traversons et qui nous inquiète tous, mais constitue aussi un outil grâce auquel nous pourrons regarder en face les grands défis de notre temps. Le temps court et le temps long, voilà les deux plumes avec lesquelles ce projet de loi a été rédigé : le temps court des circonstances, marqué par des chocs sans précédent, et le temps long des ambitions, car nous savons que les solidarités doivent s'adapter au changement de visage de la société française.
Il y a encore quelques mois, ce projet de loi serait certainement passé pour un manuscrit de science-fiction en attente d'un éditeur. Le retour à l'équilibre des comptes sociaux était proche, et nous étions sur le point de fermer la CADES, après vingt-huit années d'existence, pour apurer la dette passée. Puis une crise sanitaire s'est abattue brutalement sur le monde entier, et ce manuscrit a soudainement changé de registre alors que se reconstituaient, au moins temporairement, des déficits conséquent. Le Gouvernement le regrette autant que vous. Le temps est encore proche, où nous attendions le retour à l'équilibre.
Dès lors, pourquoi procéder maintenant à une reprise de dette ? Parce qu'il est indispensable d'assurer le financement de la sécurité sociale. La trésorerie de celle-ci est gérée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale – ACOSS – , et soumise à une contrainte de maturité des emprunts : ils ne peuvent excéder douze mois. Or cette trésorerie, grevée par 30 milliards d'euros de déficits passés, a été soumise à de très fortes tensions, du fait des mesures édictées pendant la crise. Même en cas de rebond de l'économie – rebond que nous attendons tous, et auquel le Gouvernement tout entier travaille – , les déficits à venir seront inéluctables. Par conséquent, seul un transfert important peut permettre à la CADES d'effectuer des placements à un horizon long, les plus sécurisants, et seule une reprise de dette nous protégera contre le risque de devoir décaler, un jour, le paiement des prestations, par manque de financement. Ne perdons pas de vue que l'hôpital public, mis à si rude épreuve ces dernières semaines et ces derniers mois, trouverait dans cette reprise à la fois de l'air et de la visibilité – et ce, sans préjuger des conclusions prochaines du Ségur de la santé.
Ce que propose ce texte, c'est une opération de bonne gestion de la sécurité sociale, qui renouvelle l'engagement de rembourser les dettes, dont une partie découle de la crise actuelle. C'est aussi de respecter les principes de 1996, aux termes desquels la dette sociale doit être gérée vertueusement et apurée au principal. Concrètement, cela signifie que nous devons prolonger la durée pendant laquelle nous mobiliserons des recettes pour rembourser la dette, soit neuf années supplémentaires, de 2024 à 2033. Par cet acte de responsabilité, nous éviterons au système social de s'endetter sans limite, et nous en garantirons la pérennité pour nos enfants.
À l'occasion de cet engagement, nous posons la première pierre de la réforme, tant attendue et maintes fois annoncée, de la perte d'autonomie. Le texte prépare la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale visant à couvrir nos concitoyens contre le risque de perte d'autonomie. En 1945, il avait été décidé de créer une assurance sociale publique contre le risque de maladie ou d'accident du travail. Aujourd'hui, nous faisons le choix d'une nouvelle assurance publique contre un nouveau risque auquel tous les Français peuvent être confrontés. Chacun sait qu'un mur démographique se profile : en 2040, près de 15 % des Français, soit 10,6 millions de personnes, auront 75 ans ou plus – c'est deux fois plus qu'aujourd'hui.
« L'État providence du XXIe siècle » n'est pas une expression destinée à enjoliver un discours. C'est une exigence, celle de protéger chacun, du premier au dernier souffle. La création d'une cinquième branche est probablement la plus belle chose que puisse annoncer un ministre des solidarités et de la santé. L'État social robuste que nous voulons ériger, nous le créerons avec la grande sécurité sociale, qui n'a pas peur d'être ambitieuse. Je salue ici le travail remarquable qui a été effectué en commission spéciale : les parlementaires savent que cette cinquième branche n'est pas une construction administrative, mais une nécessité vitale, dans un pays qui vieillit et qui accompagner chacun jusqu'au bout.
Mesdames et messieurs les députés, nous sommes tous très attachés à la sécurité sociale ; les Français le sont aussi, et avec raison, car c'est un trésor national. Face aux incertitudes de l'avenir – et même d'aujourd'hui, tant l'actualité conjugue les incertitudes au présent – , la protection sociale constitue plus que jamais un cadre de référence et de stabilité. Le présent et l'avenir, on ne peut simplement les regarder en croisant les doigts et en espérant que tout se passera bien ! Il faut s'armer pour les affronter, sinon avec optimisme, du moins avec confiance. Depuis trop longtemps, tel un funambule sur la corde raide, nous oscillons entre des contraintes budgétaires qui limitent nos marges de manoeuvre et des risques nouveaux, qui apparaissent dans des proportions massives. Le présent texte a l'ambition d'accroître ces marges de manoeuvre et de regarder en face la société française telle qu'elle est devenue.
Si le présent texte peut sembler quelque peu aride, il est en réalité audacieux. Plus que jamais, les circonstances nous imposent de faire preuve d'audace. Le texte est par ailleurs ambitieux, et il l'est d'autant plus qu'il est responsable, c'est-à-dire réaliste dans ses objectifs et exigeant dans les enjeux immenses qu'il affronte.
Nous sortons d'une épreuve collective historique, d'un choc qui marquera toute une génération et qui aura sa place dans les livres d'histoire. Soyons au rendez-vous de cette histoire, et soyons responsables. Être responsable, dans les circonstances que nous connaissons, ce n'est pas être frileux, c'est être ambitieux. Les pères fondateurs de la sécurité sociale ne s'y sont pas trompés en construisant un trésor sur un monde de ruines : seules les solidarités peuvent redonner des perspectives à une société qui doute, et que nous avons le devoir de relever. C'est ce dont il s'agit ici.