Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du lundi 15 juin 2020 à 16h00
Dette sociale et autonomie — Motion de rejet préalable (projet de loi)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Tous les sujets, pour le Gouvernement, n'appellent pas la même précipitation. Mais, pour charger la « dette covid » sur le dos de la sécurité sociale, le Gouvernement s'empresse et, suivant une fâcheuse habitude, il a de surcroît recours à la procédure accélérée. Il contraint ainsi le Parlement, qui siège déjà dans les conditions imposées par l'état d'urgence sanitaire. Le débat aurait pu avoir lieu dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui aurait permis une vision globale. Or le virus n'est pas tout à fait parti et la dette n'est pas encore agrégée qu'elle est déjà sur le baudet.

Retour vers le futur : nous voici en train de recréer le trou de la sécurité sociale, cette construction en trompe-l'oeil qui a justifié un discours de compression des droits pendant des années. Ainsi, pour solde de tout compte, 136 milliards d'euros seront transférés à la CADES, qui avait quasiment achevé son oeuvre d'apurement. Cette décision clôt le débat sur le financement de la crise.

Que recouvre cette dette ? Comment la payer ? Qui doit la payer ? Durant combien de temps ? Les aides exceptionnelles à une partie de la jeunesse n'étaient pas encore versées que nous examinions déjà un texte tout ficelé en commission. Or une discussion est nécessaire. La situation nouvelle remet en cause certains choix fiscaux et en matière de cotisations sociales que vous avez effectués dans la période récente. La contribution des plus fortunés et des grandes entreprises, notamment financières – par exemple les assurances – mériterait d'être mise à l'étude. Vous préférez courir vous réfugier sous le porche de la CADES. De plus, sous le régime de l'état d'urgence sanitaire et sans autre forme de discussion, le Gouvernement a pris des décisions dont il fait désormais supporter les conséquences à d'autres.

L'État doit assumer sa gestion de la crise. Il le doit d'autant plus qu'il n'est pas exempt de choix qui ont conduit au dénuement de l'hôpital public, donc au confinement généralisé. Retranché derrière l'ONDAM, le Gouvernement a asséché les ressources de la sécurité sociale à chaque budget ; il lui transfère maintenant sa dette. L'effet ciseaux est déjà bien engagé.

Par ailleurs, un tel mode de financement révèle une certaine confusion, qui demeure la ligne de force de la philosophie macronienne de l'action publique. Ce grand mélange des budgets et des dettes ne sert pas la clarté de notre organisation sociale. Ainsi, après avoir donné dans la non-compensation, vous ne voyez pas pourquoi l'on sépare les deux budgets, ce qui vous autorise à charger les comptes sociaux sans afficher l'intention d'en augmenter les recettes.

Enfin, du point de vue de la gestion financière pure, le choix de la CADES est un mauvais calcul, car la CADES rembourse capital et intérêts tandis que la dette publique roule. Il s'agit donc bien, au lieu d'une gestion de long terme, d'imposer une gestion de moyen terme qui va peser sur les citoyennes et citoyens de ce pays, pour le plus grand bénéfice de la finance.

La période récente a de nouveau montré le besoin d'une protection sociale de haut niveau. Son financement dépendra de la robustesse de l'économie, c'est-à-dire de la préservation de l'emploi et des salaires ; de l'économie réelle, axée sur la réponse aux besoins et soucieuse d'être durable, et sur le respect du bien-être au travail et au cours de toute la vie, car c'est la meilleure façon de ne pas fabriquer une dette à venir. Le signal, pourtant, est clair : avec ces 136 milliards, vous dites : « ceinture ».

Mais, vous le savez, vous n'échapperez pas au débat sur le droit à l'autonomie, d'autant plus que la situation des EHPAD est devenue plus visible pendant la crise. Alors le projet de loi comporte aussi une partie « bretelles ». Vous deviez rassurer ceux qui avaient imaginé financer un plan en faveur de l'autonomie grâce aux lignes de crédits dont la CADES n'aurait plus besoin pour rembourser la dette, et vous avez décidé de le faire dans le style inimitable du faux-semblant, que vous affectionnez tant.

Vous allez créer une nouvelle branche de la sécurité sociale ; une décision, dites-vous, comparable à celle prise en 1945. Rien que ça ! La modestie ne vous étouffe pas. Pour cela, vous demandez notre onction et vous avez besoin de notre sceau, car chacun sait que, lorsque les communistes s'engagent, et bien qu'ils n'en soient pas les seuls garants, il n'y a pas de doute : c'est une avancée sociale.

En l'occurrence, la certitude est que le grand chamboule-tout de la protection sociale continue, et que les slogans publicitaires tapageurs qui l'accompagnent ne suffisent pas à masquer une politique délétère. Nous avons si souvent été trompés, nous avons entendu tant de mots contraires aux actes, vous avez tant usé de votre boîte à magie et à illusions !

Alors, de quoi s'agit-il ? La sécurité sociale repose sur le principe : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. » Cette mutualisation permet d'assurer chacune et chacun contre les aléas de l'existence. La sécurité sociale est assise sur le travail et procède d'une gestion par les assurés eux-mêmes. Elle a évolué, d'abord avec le paritarisme, ensuite par des formes d'étatisation.

La sécurité sociale repose sur quatre branches : l'assurance maladie, qui garantit le droit à la santé ; l'assurance vieillesse, qui garantit le droit à la retraite ; l'assurance maladie professionnelle et accidents du travail, qui garantit le droit de ne pas perdre sa santé au travail ; et la branche famille, qui garantit des droits aux enfants, aux parents, aux familles. Ce dispositif est complété par l'assurance chômage, qui constitue une institution à part.

Certains estiment qu'il faut désormais couvrir un nouveau risque, celui de la dépendance. De quoi parle-t-on ? Nous pouvons tous, à un moment ou un autre de notre existence, de façon temporaire ou durable, voir notre autonomie réduite. Je dis bien « autonomie » et non « indépendance » : l'indépendance signifierait que l'on n'a pas besoin des autres. Or nous sommes des êtres d'interaction, de relation, de solidarité, nous avons toutes et tous besoin des autres pour vivre au quotidien.

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