L'Assemblée nationale s'apprête donc à légiférer en urgence et de façon hâtive sur deux sujets qui auront un impact majeur pour les Français.
D'abord, la dette. Provoquée par la crise sanitaire, elle n'est en rien une dette structurelle, qui aurait été la conséquence d'un déséquilibre des comptes sociaux. C'est une dette exceptionnelle, qui doit être gérée de façon exceptionnelle par l'État, lequel bénéficie de conditions de refinancement bien plus avantageuses que les organismes sociaux.
À cette « dette covid » transformée en dette sociale, vous ajoutez la dette des hôpitaux. L'économiste Brigitte Dormont nous l'a rappelé : si les hôpitaux ont dû contracter des emprunts toxiques, c'est bien parce qu'ils ont continué à fonctionner malgré l'austérité budgétaire.
Pourquoi l'État ne reprend-il pas cette dette, comme le Premier ministre s'y était engagé en novembre ? Pourquoi alourdir de 13 milliards d'euros le montant de la dette sociale ? Et finalement, si l'on veut aider les hôpitaux jusqu'au bout, pourquoi ne transférer qu'un tiers de leur dette alors que l'État et la CADES disposent de conditions d'emprunt bien meilleures que les hôpitaux ? Cette reprise sera-t-elle ou non conditionnée, à l'heure où nous attendons des réponses fortes pour les personnels soignants et pour ce service public qui a démontré son efficacité ?
Les choix opérés par le Gouvernement ne peuvent que susciter des interrogations au sein d'un groupe écologique, démocratique et solidaire. Tout d'abord, vous prolongez de 15,5 milliards d'euros par an les prélèvements obligatoires sur les revenus d'activité jusqu'en 2033, sans vrai débat démocratique. En outre, vous prévoyez le remboursement de la dette par deux cotisations par nature peu contributives. Un tel effort mériterait sans doute une plus grande solidarité – nous pourrions par exemple nous intéresser au prélèvement social sur le capital. Enfin, par manque de temps et malgré la demande de rapport introduite par notre collègue Bénédicte Peyrol, ces textes ne prévoient pas de conditionner les emprunts contractés par la CADES à leur impact social et écologique.
Au regard des conséquences qu'il emporte, ce transfert de dette aurait mérité un débat bien plus profond et davantage de concertation, d'autant qu'il est associé à une réforme tant attendue, la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale.
En modifiant les articles L. 200-1 et L. 200-2 du code de la sécurité sociale, la commission spéciale a ouvert la voie à la création d'une branche couvrant le risque lié à la perte d'autonomie, conséquence d'un handicap ou du grand âge. Des modifications restent néanmoins à apporter. Plusieurs d'entre nous ont déposé des amendements visant à modifier l'article fondateur de notre sécurité sociale, l'article L. 111-1 du code qui lui est dévolu.
Les parlementaires ne pourraient que se féliciter de l'inscription dans la loi de cette cinquième branche s'ils ne se retrouvaient pas face à une inconnue de taille : le financement. À ce stade, seuls 2,6 milliards d'euros sont prévus à compter de 2024, alors que les besoins évalués sont beaucoup plus importants.
Chaque député de cet hémicycle, quel que soit le banc sur lequel il est assis, a conscience de la nécessité de réussir la réforme de la dépendance. Je pense ici aux souffrances des personnes en perte d'autonomie, des proches aidants et des professions soignantes et accompagnantes. Je déplore aussi le reste à charge trop important pour les familles, qui nuit à la prise en charge des plus précaires. Une telle réforme ne peut réussir que si elle est élaborée de façon collégiale et partagée.
Le groupe EDS s'interroge sur la pertinence de la méthodologie utilisée. Le financement est renvoyé à une conférence organisée en septembre ou en novembre, sans que l'on en connaisse les modalités. La participation du capital sera-t-elle enfin mise sur la table pour soulager les revenus de l'activité et les bas salaires ? Quelle sera la gouvernance de cette cinquième branche ? La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie a un fonctionnement singulier, mais démocratique et innovant : sera-t-il conservé ? Quelle sera l'implication des acteurs de l'autonomie, qu'il s'agisse des associations, des professionnels du soin ou des collectivités territoriales ? Ils devront pouvoir s'exprimer et être entendus pour que cette réforme reste dans l'esprit de la démocratie sociale chère aux Françaises et aux Français.
Vous l'aurez compris : le groupe EDS est défavorable au transfert de 105 milliards d'euros supplémentaires à la CADES, qui n'est pas, contrairement à ce que peut dire le ministre de l'action et des comptes publics, une simple opération comptable. C'est un choix politique qui a des conséquences sur notre système de solidarité nationale. Notre État providence perdra la souplesse dont il a besoin pour s'adapter aux grands enjeux du XXIe siècle. Si notre groupe salue la création d'une cinquième branche, il regrette que celle-ci ne soit assortie d'aucune mesure permettant d'améliorer effectivement le quotidien de Français. À l'issue de la conférence des financeurs, il reviendra au Parlement de se montrer à la hauteur afin de faire de la réforme de la dépendance une vraie réforme de progrès social.