« L'impossible, nous ne l'atteignons pas mais il nous sert de lanterne. » Ces mots ne sont pas de moi mais ils sont un peu les vôtres, monsieur le président Chassaigne. En février 2017, citant René Char, vous invitiez ainsi les parlementaires à adopter votre proposition de loi visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles. Celle-ci fut adoptée à l'unanimité. Elle le fut d'abord parce qu'il s'agit d'une question de justice sociale, le niveau des pensions agricoles n'étant pas digne du travail, essentiel à notre territoire, fourni par ces acteurs ; ensuite, parce que la production des agriculteurs est indispensable à notre alimentation ; enfin parce que vous défendez cette cause avec le talent que chacun dans cette assemblée vous reconnaît. Peut-être aussi, admettons-le, parce que, début 2017, nous étions en fin de quinquennat. Vous aviez alors réussi cet impossible que vous évoquiez, malgré l'opposition du gouvernement de l'époque.
Le système de pension agricole est issu d'une longue et riche histoire. Il illustre l'évolution des activités dans notre pays et pose la question de l'engagement de notre société vis-à-vis de cette profession universelle. Depuis plus de 150 ans, les travailleurs de la terre se sont organisés dans un cadre collectif pour se protéger des risques spécifiques à leur activité. À partir des années cinquante, c'est la Mutualité sociale agricole qui géra cette protection sociale pour les agriculteurs, les salariés agricoles et leur famille. Mais, très vite, le régime agricole fut confronté à des difficultés financières, à des pensions trop faibles. Très vite, ce système de répartition catégorielle ne put être équilibré car la démographie de la profession devenait trop défavorable. Entre 1950 et 2015, le nombre d'exploitants agricoles a été divisé par quatre. On compte aujourd'hui un cotisant pour plus de deux pensionnaires. On comprend aisément les difficultés financières qui découlent de cette situation.
Cette proposition de loi parle de notre rapport à une profession qui existe dans le coeur de chacun d'entre nous. Les agriculteurs sont ces femmes et ces hommes qui se lèvent chaque jour pour nourrir les autres et contribuent ainsi à l'effort collectif et à la gestion et à la préservation de notre environnement. Pourtant, sont-ils justement rémunérés ? Peuvent-ils, par les cotisations ou par l'épargne, s'assurer une retraite digne ? Nous savons que, trop souvent, ce n'est pas le cas. Nos agriculteurs ne nous demandent pas l'aumône, mais ils ont le droit à la reconnaissance de chacun d'entre nous. À travers la question du régime de retraite agricole, ce sont celles de l'universalité et de la solidarité qui se posent.
Il y a là comme un paradoxe. Le régime de retraite agricole est, je l'ai dit, catégoriel. Mais il ne peut être alimenté uniquement par ces cotisations. Ce régime à points fonctionne grâce à la solidarité nationale – car, pour ceux qui en auraient peut-être douté il y a quelques mois, les deux sont bien compatibles.